Covid-19 : la newsletter du Pr Adnet (N°3 - 27 mai)
Une étude sur la saisonnalité (peu rassurante), deux articles sur l’hydroxychloroquine et le remdesivir, trois séries d’autopsies. Mais aussi une suspicion de transmission par le lait maternel, et la distribution des récepteurs ACE2 - porte d’entrée du virus - qui varie en fonction de l’âge. Merci au Pr Adnet pour cette newsletter N°3 !
Depuis le 12 mars, le Pr Frédéric Adnet - professeur agrégé de Médecine d'Urgence, chef des Urgences de l’Hôpital Avicenne et du SAMU 93 - fait régulièrement le point sur le Covid-19.
Après 46 numéros d'une FAQ quotidienne, il propose désormais une newsletter hebdomadaire. Nous la reproduisons ici avec son aimable autorisation.
INDEX et liste des FAQ / Newsletters
NEWSLETTER N°3 (27 mai)
ÉPIDÉMIOLOGIE
Saisonnalité du COVID-19 : oui ou non ?
On parle souvent de saisonnalité et de conditions climatiques qui s’ajoureraient aux mesures de confinement pour expliquer la décroissance ou la réapparition (théorie de la seconde vague) de l’épidémie. Un travail s’est intéressé aux facteurs susceptibles de modifier la progression de la pandémie COVID-19 y compris les facteurs climatiques (Canadian Medical Association Journal, 25 mai 2020). Ont été étudiés, entre autres, les interventions humaines, la densité de population, les conditions climatiques, le PIB, les dépenses de santé du pays et la géolocalisation.
- 144 régions dans le monde rassemblant 375.609 patients atteints du COVID-19 ont été prospectivement incluses.
- Les auteurs ont utilisé un modèle de régression à effets aléatoires pour déterminer les facteurs indépendants associés aux variations de l’épidémie.
- Les résultats ont montré que seules les interventions humaines avaient un impact significatif sur la progression de la maladie.
- Dans ce travail, deux ou trois interventions humaines (fermeture des écoles, interdiction des rassemblements, distanciation) impactaient significativement la progression de l’épidémie.
Ce travail va dans le sens d’un impact mineur de la saisonnalité dans les variations de pics épidémiques et les conclusions seraient en faveur d’une deuxième vague si les mesures barrières venaient à être relâchées.
[merci au Dr. Axel Ellrodt]
Transmission par lait maternel
On considérait jusqu’à présent que le lait maternel ne constituait pas une voie de transmission entre la mère et le bébé. Des cas de contaminations materno-fœtales ont été décrits sans que l’on sache vraiment si c’est par voie sanguine ou au cours de l’accouchement. Les préconisations actuelles sont de conserver l’allaitement entre les mamans COVID-19+ et le bébé moyennant les mesures barrières (port du masque). Tout va peut-être changer !
- Dans un numéro du Lancet (Lancet, 21 mai 2020), des auteurs décrivent le cas d’une maman vraisemblablement infectée au cours de son séjour en maternité (la chambre avait été partagée par une patiente COVID-19+) et dont le lait maternel s’est révélé contenir de l’ARN du SARS-CoV-2 (PCR positives).
- Le bébé a développé la maladie avec une composante pulmonaire.
- Tout le monde va bien, mais cette découverte pourrait remettre en question l’allaitement pour les patientes COVID-19+ symptomatiques.
[merci au Dr. Jocelyn Gravel]
RECHERCHE
Distribution des récepteurs ACE2 en fonction de l’âge
Il est établi que les enfants (surtout les moins de 10 ans) s’infectaient moins que les adultes avec le SARS-CoV-2. Plusieurs pistes ont été proposées. Les auteurs de cet article se sont intéressés à la distribution des récepteurs ACE2 (enzyme de conversion de l’angiotensine 2) en fonction de l’âge au niveau de la muqueuse nasale (JAMA, 20 mai 2020).
- On sait que ce récepteur ACE2 constitue la porte d’entrée du virus dans la cellule et que sa densité est corrélée au pouvoir invasif du SARS-CoV-2.
- Les auteurs ont trouvé une corrélation entre la densité des récepteurs ACE2 de la muqueuse nasale et l’âge, avec une surexpression pour les adultes d’âge supérieur à 18 ans.
- Cette dépendance avec l’âge pourrait expliquer la résistance de nos enfants à l’infection COVID-19.
CLINIQUE
Autopsies
Trois séries d’autopsies viennent d’être publiées avec des résultats quelque peu différents.
- La première, réalisée sur 10 patients, ne retrouve pas de thrombose des gros vaisseaux (JAMA, 21 mai 2020).
- Les lésions pulmonaires observées sont compatibles avec un SDRA classique.
- Des infiltrations de fibrose ainsi qu’une infiltration lymphocytaire pulmonaire sont retrouvées et signent un processus inflammatoire.
- Des lésions inflammatoires sont découvertes au niveau du cœur et du foie.
- La deuxième, réalisée sur 7 poumons de patients décédés du COVID-19, qui ont été comparés à 7 autres poumons de patients décédés de la grippe H1N1 (NEJM, 21 Mai 2020).
- Les lésions histologiques des poumons COVID-19 se différenciaient de ceux de la grippe par des lésions microvasculaires incluant des microthrombi et des atteintes des cellules endothéliales (endothélite).
- Une intense angiogenèse (prolifération de néo-vaisseaux) par subdivision de micro-vaisseaux (mécanisme d’intussusception) ou par bourgeonnement étaient aussi une caractéristique du COVID-19.
- La troisième étude concernait 67 patients. Les auteurs retrouvèrent des lésions vasculaires endothéliales dans plusieurs organes (poumons, reins, cerveau), des microthrombi et quatre cas d’embolies pulmonaires (medRxiv, 22 mai 2020).
- Les atteintes vasculaires étaient rattachées à la distribution endothéliale des récepteurs ACE2 nécessaires pour l’introduction du virus dans les cellules.
- Les trois séries montraient les mêmes lésions alvéolaires d’un SDRA.
En conclusion, les lésions du COVID-19 associent les caractéristiques d’un SDRA de pneumopathie virale avec, et c’est la caractéristique du COVID-19, une atteinte vasculaire diffuse et majeure : destruction de l’endothélium, microthrombose et prolifération de néo-vaisseaux.
TRAITEMENTS
Remdesivir
Les résultats d’un essai sur le remdesivir viennent d’être publiés dans le New England Journal of Medicine concernant les patients COVID-19+ graves avec pneumopathie virale (NEJM, 23 mai 2020).
- Le groupe expérimental recevait du remdesivir 200 mg à J1 puis 100 mg/j pendant 9 jours.
- Le groupe contrôle recevait un placebo.
- L’essai s’est arrêté avant la fin des inclusions car le comité de surveillance a considéré que le bénéfice était acquis dans le bras expérimental.
- Les patients s’amélioraient (définie comme la sortie du patient ou son passage en médecine) significativement plus tôt dans le groupe traité (11 jours vs. 15 jours).
- La mortalité à J14 dans le groupe remdesivir était plus basse sans atteindre la significativité (7% versus 11%).
- Il y eut le même taux d’effets indésirables.
- L’analyse en sous-groupes montre que ce sont surtout les patients recevant de l’oxygène par simple masque qui ont un bénéfice pour ce traitement.
- Étude randomisée, double aveugle. Haut niveau de preuve.
- On regrette que le critère d’évaluation soit un peu faible. Pour les patients graves on aurait aimé un effet sur la mortalité.
Last but not least... #RaoultPasContent
Une analyse des dossiers médicaux de 96.032 patients hospitalisés pour COVID-19, dans 671 hôpitaux répartis sur les 6 continents a été menée par une équipe de chercheurs américains pour déterminer si l’utilisation de l’hydroxychloroquine ou de son dérivé - en association ou non avec un antibiotique - pouvait être associée à la mortalité hospitalière (Lancet, 22 mai 2020).
- Les chercheurs ont identifié 5 sous-groupes en fonction d’un traitement par hydroxychloroquine seule (N=3.016), son dérivé la chloroquine seule (N=1.868) et ces molécules en association avec un antibiotique de type macrolide (hydroxychloroquine + macrolide ; N=6.221, chloroquine + macrolide ; N=3.783). Notez que l’azithromycine est un macrolide.
- Le groupe contrôle ne recevait pas ces traitements (N=81.144).
- Après avoir identifié les facteurs reliés à la mortalité hospitalière (11%) de la cohorte entière, les auteurs ont procédé à un appariement multiple des variables pouvant influencer la mortalité afin d’éliminer un maximum de facteurs confondants.
- Ils ont prévu, pour consolider leurs résultats, d’utiliser une deuxième technique d’appariement : le score de propension.
- Les résultats ont montré une probabilité de surmortalité importante dans les 4 groupes traités : hydroxychloroquine (+33%), chloroquine (+36%), hydroxychloroquine avec macrolide (+45%), chloroquine avec macrolide (+37%).
- Les résultats du score de propension vont dans le même sens.
- Les auteurs ont trouvé aussi une très forte association entre la survenue de trouble du rythme ventriculaire et les groupes traités.
Que penser de cette étude ?
- C’est une étude observationnelle, rétrospective, sur registre incluant un grand nombre de malades. Donc, par essence, faible niveau de preuve.
- Ainsi, on ne peut mettre en évidence qu’un lien d’association entre mortalité et traitements mais en aucun cas un lien de causalité (ce que la presse a abondamment ignoré).
- Il est à noter que le taux de mortalité est très surprenant et inhabituel dans les groupes traités, jusqu’à 24% !
- L’hypothèse initiale étant qu’au pire les traitements n’auraient pas été associés à une efficacité, les auteurs ont été très prudents (et ils ont raison) pour conclure que cette étude ne démontre aucune efficacité des traitements à base de chloroquine, et que seule une étude randomisée pourra établir un lien de cause à effet.
- On l’attend toujours, malgré la décision incompréhensible de l’OMS et de l’ANSM de suspendre les essais cliniques sur l’hydroxychloroquine !
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