Covid-19 et obésité : neuf questions, un plan d’action
Au Royaume-Uni, trois patients sur quatre atteints de formes sévères de la Covid-19 étaient en surpoids ou obèses. Un rapport de la Fédération mondiale contre l'obésité répond à neuf questions sur les liens entre la obésité et la pandémie. Les auteurs réclament en urgence un plan d'action. L'obésité est une bombe à retardement : après la Covid-19, d’autres épidémies du même type sont à craindre.
L’obésité (IMC>30) concerne en France 17% 1 des personnes adultes, un chiffre stable depuis quelques années. À l’échelle mondiale, ce taux était en 2016 de 13% (soit 650 millions d’individus)2, le nombre de cas d’obésité ayant presque triplé depuis 1975. Quant au surpoids (IMC>25), il concerne dans le monde près de deux milliard d’adultes. 38 millions d’enfants de moins de cinq ans sont en surpoids ou obèses, tout comme plus de 340 millions d’enfants et d’adolescents (de 5 à 19 ans).
Déclarée «maladie chronique» par l’OMS en 1997, l'obésité résulte d’une multitude de facteurs, qu’ils soient liés à des modes de vie, à la génétique ou à des facteurs extérieurs. Pourtant, l’obésité est souvent réduite à une responsabilité individuelle. Stigmatisées, victimes d’une grossophobie rampante alimentée par le fantasme d’un corps «idéal», les personnes obèses sont désormais associées à la pandémie. Dans une étude réalisée en avril 2020 au CHRU de Lille 3, 47% des patients ayant nécessité une ventilation mécanique étaient obèses, la gravité de la maladie augmentant avec l’IMC.
Sur les 2,5 millions de décès par Covid-19 recensés fin février 2021, 2,2 millions se sont produits dans des pays – Royaume-Uni, États-Unis, Italie… – où plus de la moitié de la population est en surcharge pondérale4. Au Royaume-Uni, trois patients sur quatre atteints de formes sévères étaient en surpoids ou obèses. Le Vietnam en revanche a le plus faible taux de personnes en surpoids… et le deuxième taux de mortalité Covid-19 le plus bas dans le monde.
Neuf questions
Dans son rapport Covid-19 et Obesité : l'Atlas 2021 4, la Fédération mondiale contre l'obésité (World Obesity Federation - WOF) détaille l’étroite corrélation entre l’obésité et la pandémie. Sans surprise, les auteurs expliquent que le surpoids est un «prédicteur très important» de complications pour les personnes atteintes de la Covid-19 ainsi qu'un «prédicteur de décès». Ils tentent d’analyser précisément les liens entre surpoids et Covid-19, en fonction des indicateurs dont ils disposent. Ce travail a toutefois ses limites puisque l’impact des choix politiques – comme la décision de lutter activement ou non contre la pandémie, à l'instar du Brésil – est difficilement mesurable.
Pour les auteurs de ce rapport, il est urgent d’établir un plan d’action car l’obésité est une véritable bombe à retardement ; après la Covid-19, d’autres épidémies du même type sont à craindre.
1- Le surpoids est-il associé à la gravité de la Covid-19 ?
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Des centaines d'études, 40 revues systématiques et près de 20 méta-analyses confirment un besoin accru de services médicaux pour les personnes en surpoids atteintes de la Covid-19.
- Il a été démontré qu'un indice de masse corporelle (IMC) plus élevé est associé à un risque accru d'hospitalisation, d'admission en soins intensifs ou critiques, de recours à la ventilation mécanique et de décès.
- Ces risques accrus ont été constatés après ajustement en fonction de l'âge, de l'origine ethnique, du revenu et d'autres facteurs démographiques et socio-économiques.
- Une enquête réalisée auprès de 400.000 résidents britanniques (du 16 mars au 26 avril 2020) a montré que 29,5% des hospitalisations liées à la Covid-19 étaient liées à la surcharge pondérale et à l'obésité.
2- Ce lien entre surpoids et Covid-19 est-il observable partout dans le monde ?
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Aucun pays où l'IMC moyen des adultes est inférieur à 25 kg/m2 n'a un taux de mortalité Covid-19 élevé.
- En prenant les données de plus de 160 pays, les auteurs du rapport ont trouvé des corrélations linéaires entre les taux de mortalité Covid-19 d'un pays et leur degré estimé de prévalence du surpoids.
3- Ce lien s’explique-t-il par la proportion plus élevée de personnes âgées dans les pays où le surpoids est plus fréquent ?
- C’est peu probable d’après les auteurs du rapport.
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La corrélation entre la prévalence de la surcharge pondérale et la mortalité Covid-19 est restée significative après ajustement pour la structure par âge de la population.
- Les chercheurs ont divisé les pays en trois groupes : ceux avec moins de 5% d’habitants de plus de 65 ans, ceux qui en comptent de 5% à 10% et ceux qui co ptent plus de 10%. En analysant ces trois groupes séparément, ils ont constaté une association significative entre la prévalence du surpoids chez les adultes et les décès dus à la Covid-19 dans tous les groupes.
4- Ce lien s'explique-t-il par le fait que les pays plus riches ont indépendamment un niveau plus élevé de décès par Covid-19 et une prévalence plus élevée de surpoids ?
- D’après les auteurs du rapport, la seule richesse d’un pays n'explique pas l'association entre le surpoids de la population et la mortalité Covid-19.
- La corrélation reste significative après ajustement pour la richesse nationale.
- Les auteurs ont divisé les pays en trois groupes : ceux dont le PIB/habitant est inférieur à 10.000 dollars, ceux pour lesquels il se situe entre 10.000 et 25.000 dollars, et ceux pour lesquels il est supérieur à 25.000 dollars.
- En analysant ces trois groupes de pays séparément, ils ont constaté une association significative entre la prévalence du surpoids chez les adultes et les décès dus à la Covid-19 dans tous les groupes.
5- Ce lien s’explique-t-il par un meilleur comptage des décès dans les pays où les niveaux de surcharge pondérale sont plus élevés ?
- Les auteurs mettent en doute cette hypothèse. Les pays ne publient pas d'indicateurs de leur capacité à déclarer les causes de décès. Les chercheurs ont donc utilisé comme indicateur les dépenses nationales de santé, qui reflètent les ressources dont disposent les services de santé à la fois pour les soins et la collecte des données.
- Ces données étaient disponibles pour 160 pays. Pour ces pays, la corrélation entre la mortalité Covid-19 et la surcharge pondérale était élevée après ajustement des dépenses de santé.
- Là encore, les auteurs ont divisé les pays en trois tranches - selon le montant alloué par les pays aux dépenses de santé - et il sont mis en évidence des corrélations significatives entre le surpoids et la mortalité Covid-19 dans les trois tranches de dépenses.
Un autre indicateur pour refléter la qualité des services de santé est utilisé est l’espérance de vie. L'OMS fournit des estimations des «années d'espérance de vie en bonne santé» pour 160 pays.
- Les auteurs ont divisé les pays en trois groupes : espérance de vie en bonne santé < 60 ans, comprise entre 60 et 67 ans et > 67 ans.
- L’association entre la prévalence du surpoids chez les adultes et les décès dus à la Covid-19 est significative dans tous les groupes.
6- Existe-t-il une proportion seuil de la population en surpoids qui prédit un taux de mortalité élevé par Covid-19 ?
Les auteurs affirment qu’il existe une augmentation nette du risque au-delà d'un seuil d'environ 50% de prévalence de surcharge pondérale chez les adultes. À la fin de 2020, les taux de mortalité Covid-19 étaient plus de dix fois plus élevés dans les pays où la prévalence du surpoids dépasse 50% des adultes.
7- Les facteurs de surcharge pondérale sont-ils également liés à la Covid-19 ?
Probablement d’après les auteurs de ce rapport. Ils ont examiné des facteurs tels que l'activité physique ou les régimes alimentaires riches en aliments à haute densité énergétique (par exemple, graisses, huiles et sucres).
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Concernant les niveaux d'activité physique, l'OMS les exprime en pourcentage d'adultes d'un pays qui ne font pas assez d'exercice physique. Il existe une corrélation significative entre une activité physique insuffisante et la mortalité Covid-19, dans les 138 pays pour lesquels ces données sont disponibles.
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Concernant l’alimentation, les auteurs ont examiné deux composantes d'une alimentation saine (légumineuses, légumes-racines) et trois composantes d'une alimentation riche en aliments à forte densité énergétique (graisses animales, huiles végétales et sucres). Les données proviennent des estimations de la consommation alimentaire en kilogrammes par personne et par an (kg/personne/an) des bilans alimentaires nationaux.
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Les résultats montrent des associations négatives entre la mortalité Covid-19 pour les légumes secs et les légumes-racines, et des associations positives avec les graisses animales, les huiles végétales et les sucres.
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Les auteurs montrent également que la mortalité Covid-19 est associée à la consommation de boissons sucrées (litres/personne/an). Cet indicateur montre l'association la plus forte de tous les composants alimentaires examinés.
8- Quels sont les coûts liés au surpoids dans le cadre de cette pandémie ?
Le Fonds monétaire international (FMI) a évalué en octobre 2020 les dommages économiques de la pandémie causés par des facteurs tels que la perte de production, la perte d'opportunités d'éducation, la perte d'emploi et la perte de revenus des ménages. Ceux-ci atteindront 4,7% du PIB mondial d'ici fin 2021, soit 11.000 milliards de dollars. Le chiffre d’un total de 28.000 milliards de dollars pour la période 2020-2025 a été ramené à 22.000 milliards de dollars en janvier 2021, pour tenir compte des effets escomptés de la vaccination.
En se basant sur l’enquête sur les 400.000 patients britanniques, des auteurs ont précédemment montré que 29,5% des hospitalisations liées à la Covid-19 pourraient être attribuées au surpoids et à l'obésité. Les auteurs du rapport avancent avec prudence l’hypothèse que la surcharge pondérale et l'obésité pourraient être responsables d’une perte de 6 à 7 milliards de dollars sur la période 2020-2025. Ils soulignent que ces estimations sont hautement spéculatives, notamment parce que le Royaume-Uni est un pays à forte prévalence de surpoids.
Toutefois, d’après les auteurs de ce rapport, la contribution de la surcharge pondérale aux pertes économiques pourrait aussi être plus élevée ; c’est la sévérité de la pression portée sur les services hospitaliers qui dans plusieurs pays a justifié les mesures de confinement, principale cause des pertes économiques.
9- Si les vaccins permettent de freiner voire stopper cette pandémie, le surpoids deviendra-t-il un facteur de risque moins aigu ?
- Non d’après les auteurs du rapport, qui rappellent que les personnes souffrant d'obésité courent un risque plus élevé de développer des infections autres que la Covid-19 – notamment respiratoires – et par ailleurs de développer de graves complications à la suite d'infections courantes.
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Les auteurs rappellent que la Covid-19 n'est pas la première infection virale respiratoire exacerbée par le surpoids. Les données des deux dernières décennies sur l'impact des l’épidémies liées au MERS-CoV ou à la grippe H1N1 montrent des résultats défavorables chez les personnes présentant une surcharge pondérale. Enfin, les auteurs soulignent que l’obésité peut réduire la réponse immunitaire à la vaccination contre la grippe.
Un plan d’action
Johanna Ralston, directrice générale de la WOF a regretté «L'incapacité, depuis plus de dix ans, à s'attaquer aux causes profondes de l'obésité». Les auteurs du rapport du WOF affirment quant à eux que l'obésité est une maladie qui ne bénéficie pas d'une priorité proportionnelle à sa prévalence et à son impact. Ils réclament que soit adopté un plan d’action ambitieux pour réduire l’obésité, en prévision notamment d’une future épidémie.
1- Reconnaître que l'obésité est une maladie à part entière ainsi qu'un facteur de risque pour d'autres affections
Concernant la Covid-19, les auteurs réclament :
- que les personnes atteintes d’obésité soient incluses parmi les groupes prioritaires pour les tests et la vaccination,
- que les travailleurs de la santé soient formés à la complexité de l'obésité afin notamment de réduire les préjugés,
- Que soit reconnu le fait que la Covid-19 et l'obésité sont liés par des inégalités et des disparités en matière de santé.
2- Améliorer le suivi et la surveillance de l'obésité
- Il faut renforcer les stratégies efficaces de prévention et de traitement de l'obésité, par :
- l'évaluation de l’impact de la Covid-19 sur les facteurs de risque et la prévalence de l'obésité,
- l'évaluation de l'accessibilité à une alimentation adéquate sur le plan nutritionnel parmi les populations vulnérables à Covid-19.
3- Élaborer des stratégies de prévention de l'obésité
- Elles doivent êtres mises en œuvre tout au long de la vie, afin de réduire l'obésité infantile.
- Pour de nombreux enfants, les mesures de restriction liées à la Covid-19 ont augmenté le risque.
- Ces stratégies doivent tenir compte des interactions syndicales entre Covid-19, pauvreté et origine ethnique.
4- Garantir que le traitement de l'obésité soit accessible à tous
- Les interventions comportementales, pharmacologiques, numériques, nutritionnelles, basées sur l'activité physique et chirurgicales doivent être accessible à toutes les personnes souffrant d'obésité.
- Ces modalités ne devraient pas être restreintes pendant la Covid-19.
- La prise en charge de l’obésité devrait bénéficier des avancées de la télémédecine.
- Des efforts particuliers devraient porter sur les personnes présentant une obésité et souffrant d’un Covid-long.
5- Des approches systémiques devraient être appliquées pour prévenir l'obésité
- Par exemple : la surveillance, le dépistage, la modification des systèmes d’approvisionnement alimentaire, le développement de modes de transport «actifs», l'accès universel à l'eau potable (en particulier dans les pays où les boissons sucrées peuvent être plus largement disponibles).
- La fourniture de repas nutritifs devrait être assurée dans les écoles, et remplacée lorsque les écoles sont fermées. L'éducation physique doit être renforcée.
- Enfin, des investissements sont indispensables face au coût croissant de l'obésité dans les pays à faible revenu.
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Notes :
1- Inserm (2019)
2- OMS (2020)
3- High Prevalence of Obesity in Severe Acute Respiratory Syndrome Coronavirus-2 (SARS-CoV-2) Requiring Invasive Mechanical Ventilation (2020)
4- COVID-19 and Obesity (2021)