Covid-19 et atteinte cérébrale : tant de questions demeurent

Le Covid-19, responsable de troubles cognitifs, neurologiques voire psychiatriques ? Ces troubles découlent-ils d'une atteinte physiologique lors du SDRA, de la détresse psychologique, ou d'un impact direct du virus ? Une revue de la littérature sur les infections à coronavirus recense des cas de scléroses en plaque, de Guillain-Barré ou encore d'épisodes psychotiques. Des étude sur l'animal mettent en évidence des troubles évoquant la maladie d'Alzheimer, ce qui pose la question d'une atteinte de l'hippocampe.

La rémission des troubles respiratoires signe pour l’instant la guérison d’un Covid-19. Mais des études cliniques ont fait état de troubles neurologiques et cognitifs persistants, dont on ignore encore l’incidence, la durée et le mécanisme sous-jacent. Parmi les pistes évoquées, le rôle de la ventilation mécanique et une atteinte de l’hippocampe. Une revue de littérature 1 sur le sujet vient d’être publiée dans la revue Brain Communications.


SDRA, ventilation et troubles cognitifs

Des recherches antérieures portant sur des patients ventilés - qu’elle qu’en soit la raison - ont déjà montré qu’à long terme peuvent survenir des troubles de l'attention, de la mémoire, de la fluidité verbale, etc. Dans une étude, 78% des patients présentaient de tels troubles un an après leur sortie d’hôpital, et environ la moitié des patients jusqu'à deux ans après.

Par ailleurs, dans le cas spécifique des SDRA il a déjà été observé que des problèmes de mémoire pouvaient persister jusqu'à cinq ans. Un lien entre la durée de l'hypoxie et les scores d’attention ou de mémoire verbale a par exemple été mis en évidence.

Enfin, la réponse inflammatoire au SDRA et ses conséquences peuvent aussi aggraver des lésions neurologiques et favoriser un dysfonctionnement cognitif chronique. Des troubles cognitifs peuvent donc découler directement ou indirectement d’un SDRA. Mais dans le cas précis des coronavirus il ne faut pas exclure l’hypothèse d’une action directe de l’agent pathogène sur le système nerveux central (SNC).    


Des lésions du SNC induites par les coronavirus

Les coronavirus sont considérés comme potentiellement neurotrophiques. Plusieurs études ont déjà montré qu’ils peuvent pénétrer dans le SNC en moins d'une semaine et être retrouvés dans le liquide céphalorachidien. Une série d'autopsies de victimes du SRAS-CoV, en 2003, a montré des séquences du génome du SRAS-CoV dans tout le cortex et l’hypothalamus. Des lésions diffuses ont aussi été identifiées dans plusieurs régions du cerveau chez les patients infectés par le MERS-CoV, notamment la substance blanche et les zones sous-corticales des lobes frontal, temporal et pariétal.

Comment le SNC peut-il être envahi ? Deux hypothèses sont évoquées. Au cours d'une infection à coronavirus, la perméabilité de la barrière hémato-encéphalique - composée en partie de cellules microvasculaires de l'endothélium cérébral - pourrait être compromise. Autre piste,  une infection des neurones périphériques ou des neurones sensoriels olfactifs permettant au virus d’accéder au SNC via le transport axonal.

Les coronavirus sont responsables de symptômes aigus liés au SNC : céphalées, crises d'épilepsie, pertes de conscience, troubles moteurs ou cognitifs. Bien qu’aucune causalité directe n’a été établie, cette neuropathogénicité est de plus en plus reconnue. Certaines souches de coronavirus ont ainsi été trouvées dans le cerveau de patients atteints de sclérose en plaques. Enfin, la présence et la persistance de coronavirus dans le cerveau semblent aggraver des troubles neurologiques chroniques tels que la maladie de Parkinson. Concernant la Covid-19, des cas de perte de la parole et de la compréhension, d'encéphalopathie et de Guillain-Barré ont été rapportés.


L’hippocampe, le talon d’Achille ?

Des études réalisées sur des modèles animaux mettent en évidence la fragilité de l’hippocampe, qui serait altéré au cours d’infections respiratoires. Chez la souris, le virus de la grippe peut par exemple induire des modifications morphologiques et fonctionnelles de cette zone du cerveau, qui joue un rôle important dans la mémoire. Une dégradation de leur mémoire spatiale sur le long terme a déjà été observée. Le SARS-CoV-2 est-il responsable de tels changements au niveau de l’hippocampe de certains patients ? Si tel est le cas, découlent-ils directement de l’infection virale ? Des recherches doivent encore être conduites pour trouver les réponses.

Autre axe pour de futures recherches, l’impact d’une infection à coronavirus sur l’apparition ou l’aggravation d’une maladie d’Alzheimer (MA), caractérisée par une dégénérescence neuronale débutant au niveau de l’hippocampe. Des études menées sur l’animal ont déjà montré que l'inflammation liée à l'infection virale aggrave considérablement l’altération de la mémoire spatiale, caractéristique cognitive majeure de la MA.

À ce jour, aucune évaluation neuropsychologique complète des patients Covid-19+ n’a été effectuée. Elle devrait inclure des tests de la fonction hippocampique : tests de rappel différé et de mémoire spatiale.


Troubles psychologiques, une étiologie incertaine

Les troubles cognitifs sont souvent reliés aux troubles psychologiques résultant de l’infection par un coronavirus. Mais là aussi une action directe du virus peut être envisagée.Une étude portant sur 90 cas de SRAS-CoV a montré des niveaux élevés de détresse psychologique, avec 59% de troubles psychiatriques diagnostiqués et une prévalence continue de 33% au 30e mois de suivi. La gravité des symptômes psychologiques était ici reliée à la gravité de la maladie et à la déficience fonctionnelle. L'exposition à des événements traumatisants dans un contexte d’épidémie (décès de proches, perte de revenus) n’est pourtant pas la seule explication retrouvée.

En effet, l’hypothèse de troubles psychiatriques d’origine virale n’est pas écartée. Une étude sur 40 patients suspectés d’être infectés par le MERS-CoV et mis en quarantaine avait révélé des troubles psychiatriques - dont des évènements psychotiques - chez 70,8 % d’entre eux... Tous ont ensuite été testés positifs, tandis que les cas suspects testés négatifs n’ont présenté aucun de ces troubles. Ceci peut suggérer un impact psychologique particulièrement fort suite au diagnostic de MERS-CoV, mais aussi l’existence d’un mécanisme viral.


À suivre…

La pandémie actuelle - ou d’éventuelles résurgences d’épidémies à coronavirus - donneront probablement lieu à une augmentation de la prévalence des troubles cognitifs, plus ou moins directement associés à l’infection elle-même. Des études semblent nécessaires pour identifier précisément la nature de ces troubles, leurs caractéristiques, le mécanisme sous-jacent et l’efficacité des traitements disponibles (médicamenteux ou psychologiques).

Chez les anciens patients Covid-19+, le déficit cognitif pourrait durer bien au-delà de la fin des symptômes respiratoires, et prendre des formes subcliniques difficiles à détecter. Ces troubles «légers» de la mémoire et de la parole risquent d’être attribués, à tort, au traumatisme de l’épidémie. Des troubles cognitifs émergents ou l’aggravation de troubles préexistants, même à distance de l'infection, devront donc alerter le médecin généraliste.


Source :
1- The cognitive consequences of the COVID-19 epidemic: collateral damage?
K Ritchie,
D Chan, T Watermeyer
Brain Communications, fcaa069, https://doi.org/10.1093/braincomms/fcaa069