La 21e édition des Journées nationales du DIU « Médecine et santé de l’adolescent »1 - soutenue par le CHU de Rouen et le CH du Rouvray - était consacrée aux « Conduites extrêmes à l’adolescence : du normal au pathologique, de la destructivité à la créativité.»
En voici une synthèse, non exhaustive, suivie de la présentation d'un nouvel ouvrage de référence.
15 % des adolescents français sont porteurs d’une pathologie chronique. Ils sont tiraillés entre leur besoin d’autonomie et les contraintes imposées par la maladie et les traitements. « Faire avec » la maladie, c’est accepter le compromis. Impensable pour nombre de jeunes qui choisissent des voies radicales. Le déni ou la prise de risque conduisent à l’échec thérapeutique, la décompensation aigüe, la perte d’un greffon.
Telle est l’histoire de Jade, adolescente en insuffisance rénale, qui refuse la greffe et préfère la dialyse. Une impasse pour les soignants. Le résultat d’une transition trop rapide entre les soins de néphrologie pédiatrique et ceux de néphrologie adulte ?
Lorsque les soins sont pluriquotidiens - diabète, drépanocytose, etc. - l’observance devient un défi. Les séances de psychodrame permettent aux jeunes de mettre leurs propres mots sur le vécu de la maladie, loin du vocabulaire des soignants. Une activité régulièrement évaluée et qui a fait ses preuves.
D’après la DRESS, entre 2009 et 2017 la prévalence de l’obésité chez les adolescents est passée de 3,8 % à 5,2 %. La fréquence des formes extrêmes est aussi en augmentation, ainsi que le recours à la chirurgie bariatrique.2
L’intervention des psychiatres est requise afin d’effectuer une évaluation médico-psychiatrique de l’adolescent et de le préparer psychiquement à sa vie post-chirurgie.
Douleurs inexpliquées à la puberté, fortes angoisses au moment des règles… Des symptômes courants chez les adolescentes qui se ressentent garçon. Corollaires : le harcèlement scolaire et la tentation de se réfugier dans un monde virtuel où il devient possible d’exister sous l’identité choisie.
Reconnu par le DSM-5, le diagnostic de « dysphorie du genre » est porté lorsqu’un individu présente une impossibilité à vivre dans son corps biologique. De plus en plus d’adolescents présentent une telle discordance qui en impactant leur socialisation devient source de symptômes anxieux ou dépressifs. Il ne s’agit pas pour le pédopsychiatre de prendre en charge un trouble de l’identité, mais d’une souffrance.
Respecter la construction identitaire du patient, c’est lui présenter les différentes possibilités : blocage pubertaire, réassignation hormonale, traitement chirurgical, modification de l’état civil, etc. sans l’enfermer pour autant dans cette question.
2/3 des victimes de violences, notamment sexuelles, subies dans l’enfance et l’adolescence développeront un état de stress post-traumatique (ESPT). Parfois les auteurs de ces violences sexuelle sont eux-mêmes des mineurs.3
Plusieurs études ont montré que cette violence survenait tôt : 50 % avant 11 ans, 25 % avant 6 ans. Mais il est beaucoup plus fréquent de rencontrer ces enfants pour des troubles somatiques (douleurs abdominales, céphalées, etc.) ou psychiatriques (troubles du sommeil, angoisse, idées suicidaires, etc.).
La méconnaissance de l’origine traumatique de ces troubles entraîne errance médicale et déscolarisation. L’ESPT fragilise l’avenir social du jeune, son estime de soi, sa capacité à se protéger contre de nouvelles violences. C’est un problème majeur de santé publique.
Cet ESPT entrave les capacités de mentalisation de l’adolescent. La relation d’attachement entre le patient et le thérapeute doit être d’autant plus soigneusement accordée. Se laisser atteindre par les émotions du patient sans sombrer dans la fascination, la terreur voire le déni… Un rôle crucial mais éprouvant pour le thérapeute. Par cette « mentalisation incarnée » (embodied mentalisation) le thérapeute laisse percevoir qu’il est affecté, ce qui permet au patient de se sentir reconnu dans ce qu’il a vécu.
Désirées ou accidentelles, les grossesses chez les adolescentes sont des phénomènes à la marge. Elles sont souvent perçues comme un comportement déviant ou un échec de l’éducation. Bien qu’elles ne conduisent à la naissance d’un enfant que dans 20 % des cas, ces grossesses ne sont jamais à banaliser, tant pour le devenir du bébé que pour les fondations des futures assises parentales.
La grossesse peut être une voie de recours inconsciente à des conflits internes : moyen de réparation, vérification du bon fonctionnement du corps sexué, acte auto-agressif. Elle peut apaiser un enjeu narcissique via le statut parental. Elle peut aussi résulter d’une conduite à risque ou d’un abus, qui doit être systématiquement recherché.
Les études sur la parentalité adolescente montrent l’existence de troubles de la sensibilité maternelle avec des parentages qualifiés de « rudes ». Une jeune femme n’ayant pas reçu de réponse à ses propres besoins est en difficulté pour répondre à ceux de son enfant. Cependant, le pari d’une résilience est parfois nécessaire - au-delà des craintes des professionnels et des discours péjoratifs - afin que la future mère puisse construire une image valorisée d’elles même.
Quant aux parents, confrontés à une triple annonce concomitante - notre fille a des relations sexuelles, elle est enceinte, peut-être que cette grossesse fut désirée dans un mouvement d’autonomisation - ils doivent nécessairement être accompagnés.
C’est l’un des résultats d’une étude réalisée en 2018 dans deux services hospitaliers spécialisés de l’Institut Mutualiste Montsouris (Paris). Quinze entretiens (8 patientes - 16 à 29 ans) ont été analysés selon la méthode IPA (Interpretative phenomenological analysis). L’accès à la féminité est vécu par certaines patientes comme une menace imminente d’être mère, dont leur TCA a pour fonction de les protéger. L’identification à une figure maternelle est possible, mais renvoie à l’image d’une mère terrifiante et omnipotente.
Les psychotropes peuvent être une aide à la régulation des émotions à l’adolescence ou à la prise en charge d’un épisode dépressif sévère. De nombreux travaux montrent que la société quant à elle place l’adolescent dans un contexte de plus en plus addictogène : les cadres collectifs s’estompent, la technologie privilégie l’instantanéité et la jouissance immédiate. Les injonctions sont contradictoires : « soit toi-même » et « soit performant ».
L’intérêt d’une intervention systémique et familiale chez les jeunes suicidants semble évident. Une étude portant sur 28 enfants et adolescents hospitalisés pour une TS dans un service de pédiatrie a mis en évidence l’existence d’un conflit intrafamilial dans 78 % des cas et la séparation des parents dans ¾ des situations. 40 de ces TS étaient des récidives. 30 % des adolescents étaient déscolarisés au moment de la TS. Des résultats qui suggèrent que l’hospitalisation systématique, selon les recommandations de la HAS, devrait être associée à une intervention mobilisant le milieu familial, scolaire et social.
La nouvelle hantise de notre siècle. Fait social ou pathologie ? Le réseau VIRAGE (Violence des Idées, Ressources et Accompagnement en Grand Est) est missionné par l’ARS du Grand Est pour déployer des actions de prévention des radicalisations : prévention primaire en milieu scolaire ou carcéral, accompagnement des familles, soutien des pratiques professionnelles.
Le processus de radicalisation est la rencontre entre un parcours individuel constitué de vulnérabilités et un groupe identitaire légitimant le recours à la violence, dans un contexte social, politique, historique favorable. Ce processus peut être entendu comme un symptôme, c’est-à-dire un moyen d’apaisement face à un conflit psychique, à rapprocher des addictions et des troubles du comportement alimentaire. Mais les soins se heurtent ici à l’absence de demande de la part des familles.
L’ouvrage collectif Médecine et Santé de l’Adolescent 4, coordonné par les Prs Gerardin, Boudailliez et Duverger est paru récemment.
Présentation par le Pr Priscille Gerardin :
Références :
1- Organisées par le DIU « Médecine et santé de l’adolescent » et la Société française pour la santé de l’adolescent, les journées de Rouen ont été orchestrées par les Prs Priscille Gerardin et Christophe Marguet.
Le DIU « Médecine et santé de l’adolescent » a été créé en 1991 par Daniel Marcelli, Professeur de Psychiatrie de l’Enfant et de l’Adolescent de 1989 à 2014.
Il en a été le Directeur d’enseignement jusqu’en 2003. Le Pr Marcelli préside la Société Française de Psychiatrie de l’Enfant, de l’Adolescent et des Professions Associées.
2- La chirurgie bariatrique en pédiatrie est encadrée par la HAS depuis 2016.
Outre les critères physiologiques (âge ≥ 15 ans, stade de Tanner ≥ IV, IMC supérieur à 40 kg/m2 ou 35kg/m2 avec une comorbidité sévère), l’adolescent ne doit pas présenter de troubles psychiatriques décompensés ou non, ni présenter de conduites addictives.
3- Plus de 60 adolescents auteurs de violence sexuelle ont fait l’objet d’une étude descriptive depuis 2015 : biographie, antécédents personnels et familiaux, passé traumatique, etc. 50 % des auteurs reconnaissent avoir eux-mêmes aussi été victimes de faits sexuels antérieurs. Ils ont des profils psychopathologiques très différents des auteurs non victimes et surtout, en grande majorité, ils souffrent au moment des faits ou développent après ces derniers des troubles psychiatriques (étude menée par le CH du Rouvray).
4- Médecine et Santé de l'Adolescent. Pour une approche globale et interdisciplinaire
Ouvrage coordonné par les Prs P. Gerardin, B. Boudailliez, P. Duverger.
Préfacé par le Pr Daniel Marcelli
ed. Elsevier Masson (sept 2019)
5- L'adolescence aux mille visages
Daniel Marcelli et Alain Braconnier
ed. Odile Jacob (1998)