Les 4 000 personnes sourdes d’Auvergne peuvent consulter l’Unité d’accueil et de soins pour les sourds du CHU de Clermont-Ferrand, inaugurée ce 1er octobre. Focus sur une prise en charge cruciale et complexe.
La législation française prévoit que chaque CHU propose une unité dédiée pour les personnes sourdes. En effet, les enquêtes épidémiologiques ont montré que nombre de ces personnes n’ont pas accès aux soins. « Dans le meilleur des cas, celles dont le handicap social est modéré et qui savent signer [parler la Langue des signes française : LSF] peuvent espérer trouver un médecin qui la pratique. Mais à ma connaissance il n’y en a pas en Auvergne. Or rien que sur l’agglomération de Clermont-Ferrand vivent 2 000 personnes sourdes.» explique le Dr Jean-Luc Fauquert, pédiatre et allergologue.
Fraîchement retraité, c’est à ce médecin bien connu des acteurs de santé du CHU que la direction a confié la coordination de l’Unité d’accueil et de soins pour les sourds (UASS) du CHU, opérationnelle depuis mars 2019.
Le Dr Fauquert évoque d’emblée le cas de cette jeune femme, enceinte de 8 mois, qui s’était présentée au CHU à 4 h du matin pour des douleurs abdominales. « Nos bâtiments sont modernes, sécurisés, et conçus pour être accessibles. Seulement, quand elle s’est présentée, elle n’a pas entendu la sonnerie qui lui indiquait qu’elle pouvait ouvrir le sas. Elle est repartie chez elle et a dû bénéficier d’une intervention du SAMU pour accoucher. » Une situation inacceptable que l’UASS devrait prévenir.
Ici, tout est prévu pour faciliter leur parcours de soin, et tout le monde est formé à la LSF. Certaines personnes maîtrisent également la langue parlée complétée1. La prise de rendez-vous peut se faire par Skype ou SMS et l’accueil physique est assuré par la coordinatrice administrative et l’aide-soignante. Les consultations sont assurées par trois médecins généralistes formés à la LSF, toujours en présence d’interprètes professionnel.le.s. Pour les consultations spécialisées et les examens, le personnel de l’UASS planifie les rendez-vous et accompagne les patients au sein du CHU.
« Auparavant, nous ne disposions au CHU que d’un interprète en LSF, un prestataire extérieur qui intervenait ponctuellement à la demande d’un personnel administratif. Mais ça ne suffit pas : il faut des personnels qui connaissent le milieu des sourds. Nous travaillons avec des interprètes assermentes et sommes conseillés par l’Urapeda 2, l’association des parents des jeunes sourds, et par l’IRJS 3. Ça nous permet de suivre les patients. »
Depuis mars 2019, date de l’ouverture, l’UASS a accueilli 84 personnes. « Nous avons posé deux diagnostics de diabète, un d’arthrite rhumatoïde, un d’asthme. Ces personnes n’étaient pas suivies. C’est classique : chez les personnes sourdes les maladies chroniques ne sont pas souvent prises en charge. Les patients attendent une décompensation pour consulter » constate le Dr Fauquert.
La LSF a ses limites. D’une part, les personnes sourdes ne la maitrisent pas toutes suffisamment, notamment lorsqu’elles ont des difficultés cognitives ou qu’il s’agit d’enfants. D’autre part, la LSF propose un champ sémantique diffèrent de la langue française, ce qui ne permet pas toujours de distinguer certaines nuances. Un interprète peut traduire en LSF « J’ai mal ». Mais il existe 1 000 manières d’avoir mal.
L’UASS souhaite donc s’attacher les services d’un intermédiateur, dont le rôle est plus relationnel. Personne sourde elle-même et maniant aisément la LSF, l’intermédiateur est un pont entre les professionnels de santé et un univers qui leur échappe, doté de sa propre culture, de ses références, de sa perception. « L’interprète traduit, l’intermédiateur décrypte » résume le Dr Fauquert.
À peine ouverte, l’UASS s’est fixée de nouveaux objectifs. Développer un réseau régional, d’abord, avec des antennes dans les localités de Moulins, Vichy ou Aurillac par exemple. Ensuite, sensibiliser les personnels soignants, médecins, sages-femmes, paramédicaux à la prise en charge des sourds.
Enfin, il s'agit pour l'UASS de développer la prévention et le dépistage au sein d’une population jusqu’à présent peu accessible aux actions de santé publique : vaccinations, contraception, conduites addictives, autant de thèmes que les personnes sourdes pourront, enfin, aborder.
Les personnes sourdes sont souvent isolées, d’autant plus lorsqu’elles vivent dans des zones vastes et peu denses comme l’Auvergne. La téléconsultation, en LSF, pourrait être logiquement une prochaine étape.
Repères :
Un enfant sur mille naît sourd profond. Dans 40 % des cas, le trouble est sévère et profond, avec de lourdes conséquences sur l’acquisition du langage oral et sur le développement socio-affectif de l’enfant.
Trois quarts des ces surdités sont d’origine génétique (liées à une anomalie de l’oreille), les autres étant acquises au cours de la grossesse ou pendant la période périnatale.
Le nombre de cas progresse avec l’âge (surdité acquise : traumatismes, otites chroniques, tumeurs, toxicités médicamenteuses, accidents de plongée, etc.).
À 3 ans, trois enfants sur 1000 présentent une surdité sévère ou profonde.
(sources Ameli et Inserm)
1- La langue parlée complétée (LPC)
C’est un mode de communication qui soutient à l’apprentissage de la langue orale. Le français est donc la langue première de l’enfant et la LPC devient un soutien visuel à cette dernière.
Pour la LSF, un signe correspond à un mot ou une idée. Pour la LPC, un code correspond à un son.
La LPC utilise huit configurations de la main à cinq endroits sur le visage et inclut la lecture labiale. La main du locuteur placée près du visage complète les mouvements des lèvres. Une représentation manuelle (un code) est attribuée à chacun des sons prononcés. Les sons qui produisent la même image labiale (ex : « coûte » et « goutte ») ne sont pas représentés par les mêmes codes.
La LPC permet donc aux personnes présentant une déficience auditive de différencier visuellement les sons prononcés et surtout de réduire les ambiguïtés de la lecture labiale. La lecture labiale ne permet souvent que 30 % de la compréhension d’un message oral. Avec la LPC, on passe à 95 % du message perçu.
Avantages :
La LPC
Limites :
La LPC est avant tout un mode de communication qui utilise l’oral, elle ne fait pas le lien avec la communauté et la culture sourde. Les enfants n’ont donc pas nécessairement de modèles sourds autour d’eux.
2- Union Régionale des Associations de Parents d'Enfants Déficients Auditifs
3- Institut Régional des Jeunes Sourds