Juste après les attentats du 13 novembre 2015, plus de 2000 personnes ont été orientées vers un dispositif d’aide psychologique immédiate. Ces consultations de «désamorçage», assurées par des professionnels en santé mentale, sont aussi un point d’entrée pour de futurs soins psychologiques.
Cependant, certains troubles ne sont révélés que longtemps après un tel évènement ; la victime les tait par peur de n’être pas comprise ou parce qu’elle estime que sa souffrance n’est pas légitime par rapport à celle des victimes physiques. Il arrive aussi qu'un évènement personnel serve de déclencheur : les symptômes apparaissent alors souvent de manière brutale.
Les premiers intervenants sur une scène d'attentat ne sont pas épargnés. Le 13 novembre 2015, 88,6 % des professionnels intervenus immédiatement ont vu des cadavres ; 91,1 % d’entre eux ont touché un corps décédé ou blessé. Une étude1 récemmet publiée leur a été consacrée.
Pour Thierry Baubet2 - professeur de psychiatrie et coauteur de l'étude - les troubles du syndrome de stress post-traumatique (SSPT) sont caractérisés par l’apparition de 4 symptômes qui persistent au moins un mois :
Un tel tableau avait été retrouvé auprès de 20 % des personnes exposées aux attentats du 11 septembre 2001, et 11 % de celles touchées par l'attaque sur l'île d'Utoya (Norvège, 2011).3
En France, 18 % des personnes exposées aux attentats de janvier 2015 souffraient de SSPT selon des enquêtes menées 6 et 18 mois après les faits auprès de 190 civils (otages, blessés, témoins, proches des victimes).
Concernant le cas spécifique des premiers intervenants sur scènes d’attentats (secours et forces de l’ordre), une méta-analyse de 2012 indiquait une prévalence mondiale du SSPT de 10 %.
Parue dans le Journal of Psychiatric Research, l'étude3 fait partie du Programme 13 Novembre, une vaste recherche épidémiologique en plusieurs volets. Les résultats de travaux précédents effectués dans ce cadre ont déjà montré que 46% des personnes affectées par un SSPT ne reçoivent pas de soin.
Les chercheurs ont analysé chez les professionnels qui sont intervenus cette nuit-là - policiers, pompiers, soignants et secouristes - la nature du SSPT éventuellement développé et les facteurs qui y sont associés. Il s’agissait d’évaluer l’impact psychologique de l’évènement 12 mois après, par le biais d’un questionnaire sur internet. 663 personnes ont auto-évalué leurs troubles, soit un taux de participation évalué à 25% pour les pompiers et les bénévoles (celui des policiers et soignants est probablement inférieur). Les participants pouvaient joindre un psychologue à tout moment, au cas où ce questionnaire les déstabilise.
L’étude révèle une prévalence du SSPT de 3,4% chez les pompiers, 4,4% chez les professionnels de santé et 9,5% chez les policiers participants, soit une prévalence globale de 4,8%. Point fort de l’étude : elle abordait aussi le cas du SSPT partiel.
Les personnes exposées peuvent développer des symptômes de SSPT sans en remplir tous les critères diagnostic. On parle alors de SSPT sous-syndromal ou «partiel». Très peu d'études ont porté à la fois sur le SSPT et le SSPT partiel. Or, si l’on s’en tient à la stricte définition du SSPT, certaines souffrances sont passées sous silence. Exemple : quatre ans après l’attentat du 11 septembre 2001, la prévalence du SSPT chez les policiers était de 5,4%. Celle du SSPT partiel atteignait 15,4%.
Dans l’étude sur le 13 novembre 2015, 15,7% des participants ont présenté un SSPT partiel : 10,4 % chez les professionnels de la santé, 15,7% chez les pompiers, 19,4% chez les bénévoles, 23,2 % chez les policiers. Ces niveaux sont bien plus élevés que ceux retrouvés après les attentats du 11 septembre ou de l’île d’d’Utøya.
Quels sont les facteurs associés au SSPT et au SSPT partiel chez ces premiers intervenants ?
Degré d’exposition au danger pendant l’intervention, sexe, âge, niveau d'instruction, antécédents, niveau de formation et soutien social... Toutes ces données ont été analysées.
• Degré d’exposition au danger : les participants devaient préciser s’ils sont intervenus sur des lieux non sécurisés, sécurisés (ou éloignés des événements) ou encore si c’était le lendemain des évènements.
Les pompiers ont été les plus exposés aux scènes non sécurisées (75 %), suivis des secouristes bénévoles (53,7 %), des policiers (37,9 %) et des professionnels de la santé (8,3 %).
Ces personnes sont celles qui sont allées directement à l'intérieur des cafés/restaurants ou du Bataclan. 65% d’entre elles ont entendu des coups de feu, 17,1% ont vu un terroriste, 88,6% ont vu des cadavres.
• Préparation à ce type d’intervention : bien que tous les pompiers ont reçu lors de leur instruction initiale une formation au risque psychologique, seulement 60,4 % d’entre eux l’ont mentionnée. Ceci interroge sur la manière dont ces formations sont perçues, d’autant que l’étude montre un lien entre absence de formation et développement du SSPT.
• Antécédents médicaux et traumatiques : les participants ont indiqué leur éventuel suivi en santé mentale (consultations ou traitement antidépresseur pendant plus de 6 mois avant les évènements).
Ils ont aussi évalué d’éventuels événements traumatiques antérieurs. Par exemple, la moitié des policiers participants à l’étude avait déjà été concernés par les attentats de janvier 2015.
• Sentiment d’isolement social : le lien constaté avec le SSPT doit être clarifié, car il peut être un facteur de risque du SSPT mais aussi sa conséquence.
• L’âge et le sexe des premiers intervenants n’ont pas d’incidence significative sur la présence d’un SSPT ou SSPT partiel.
• Des travaux précédents établissaient des associations entre SSPT et niveau d’étude inférieur. Ce n’est pas le cas ici, probablement parce que quasiment tous les participants à l'étude ont un niveau d’études supérieur au bac.
Suite aux attaques du13 novembre 2015, ce sont les policiers qui ont été les plus exposés au SSPT et SSPT partiel. De manière générale, une attention particulière doit être accordée aux premiers intervenants sur les scènes d’attentats non sécurisées et à ceux en situation d'isolement social.
La question de la formation est centrale. Pour éviter toute stigmatisation, il faudrait former systématiquement les premiers intervenants sur les conséquences potentielles de telles interventions sur leur santé mentale.
Sources :
1- Factors associated with PTSD and partial PTSD among first responders following the Paris terror attacks in November 2015
https://doi.org/10.1016/j.jpsychires.2019.11.018
2- Le Pr Thierry Baubet est professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent et chef du service de psychiatrie de l’enfant, de l’adolescent et de psychiatrie générale de l’hôpital Avicenne (AP-HP). Ses travaux portent principalement sur la psychiatrie transculturelle et le traumatisme psychique.
https://www.fondationdefrance.org/fr/trois-questions-au-professeur-thierry-baubet-professeur-de-psychiatrie-de-lenfant-et-de-ladolescent
3- BEH 38-39 |13 novembre 2018 |
Les attentats de 2015 en France : mesurer leur impact en santé publique pour mieux préparer la réponse
http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2018/38-39/pdf/2018_38-39.pdf