Annoncer au mieux les mauvaises nouvelles
Moment-clé pour le patient, l'annonce d'une mauvaise nouvelle est aussi redoutée par les médecins. Comment mener au mieux cet échange si particulier ? Jalid Sehouli, professeur de gynécologie à l'hôpital universitaire La Charité (Berlin) a consacré un livre à ce sujet. Il pilote par ailleurs le projet Breaking Bad News qui vise à informer les praticiens et évaluer leurs besoins en formation.
L’annonce d’une mauvaise nouvelle – résultat d’un test, diagnostic, échec d’une intervention – est un thème qui préoccupe particulièrement le professeur Jalid Sehouli, responsable du service de gynécologie de l’hôpital universitaire la Charité (Berlin) et spécialiste mondial du cancer de l'ovaire.
À l’occasion d’une interview1 sur son livre Von der Kunst schlechte Nachrichten gut zu überbringen («L'art de bien annoncer les mauvaises nouvelles») le Pr Sehouli était revenu sur un épisode marquant de sa vie professionnelle.
Il y a presque vingt ans, j'ai opéré une femme âgée qui s'est bien sortie de l'opération. Mais lorsque le moment est venu d'annoncer la bonne nouvelle à la voisine, elle nous a informés que le mari de la patiente, un homme de 94 ans, s'était tué lui-même – il avait trop peur de perdre sa femme. C'est un moment où je me suis sentie abandonné, moment que je ne l'ai jamais oublié, pas plus que je n'ai pu le surmonter.
Annoncer une mauvaise nouvelle, c’est bouleverser la vision que le patient a de sa propre existence. Dans ce moment-clé le médecin est seul et ne peut pas s’appuyer sur un protocole. C’est pour ne pas laisser les médecins démunis que le professeur Sehouli a voulu partager ses questionnements et sa propre expérience, non seulement dans son ouvrage mais également via les deux axes du projet Breaking bad news2 : proposer aux médecins et étudiants en médecine allemands un modus operandi et une revue de la littérature, mais aussi leur demander s’ils s’estiment suffisamment formés.
Breaking Bad News
L’annonce d'une mauvaise nouvelle est toujours un moment difficile, dont l'impact est considérable. La manière dont se déroule l'entretien peut influer sur la suite de la prise en charge. Il ne s’agit donc pas pour le médecin de s’en remettre au «bon sens» mais bien de définir le cadre et le fil rouge de ce moment particulier. Pour transmettre des informations claires aux praticiens, Breaking Bad News les regroupe sous forme de trois checks-lists.
La check-list du médecin
1- Quand, où, qui ?
- Quand doit se dérouler l’entretien, combien de temps prévoir ?
Dès que cela est possible pour le patient et lorsque cela est nécessaire pour une prise de décision (lorsque tous les résultats sont disponibles).
- À l’hôpital, éviter la soirée (sinon organiser un soutien juste après l’annonce) .
- Au cabinet, réserver un créneau spécifique. Prévoir deux ou plusieurs entretiens dès le départ, d’une durée de 15-30 minutes car la réceptivité du patient est sensiblement réduite après le message principal.
- L'entretien a lieu dans un espace à l’écart, calme, sans téléphone, avec des mouchoirs en papier.
- Sont présents le patient, médecin, éventuellement un membre de l'équipe soignante ou un proche.
2- Dix points-clé
- Investissez du temps dans la préparation de l'entretien.
- Soyez conscient des contraintes liées à ce type d'entretien (temps).
- Recrutez des proches en tant que soutiens s'ils sont importants pour le patient, et avec son accord.
- Posez au patient des questions ouvertes, ne l'interrompez que lorsque cela est absolument nécessaire.
- Ne jugez pas ses réactions.
- Sondez le niveau actuel de ses connaissances, pour partir de là où il se trouve.
- Avertissez le clairement le patient avant de délivrer une mauvaise nouvelle : «J'ai une mauvaise nouvelle».
- Après l'annonce, laissez-lui un temps. Profitez de cette pause pour observer ses émotions mais aussi les vôtres.
- Abordez ensuite des choses pratiques, concrètes.
- Soulignez les points positifs, et terminez l'entretien par quelque chose de positif.
Pour le patient
Les points qu'il ou elle devrait avoir à l'esprit :
- Puis-je participer à la préparation de l’entretien ? (date, personnes présentes)
- Est-ce que je comprends bien toutes les informations ?
- On donne souvent trop d'informations plutôt que trop peu dans ce type d'entretien.
- Il est possible d’avoir plus d'informations lors d’entretiens de suivi.
- On peut demander au proche présent de prendre des notes.
- Demander des pauses, essayer d’exprimer soi-même les émotions et pensées.
- Se concentrer sur le message principal.
- Est-ce que je le comprends ? Quelle est la conclusion ?
- Comment puis-je être aidé maintenant ?
- Quelles pourraient être les prochaines étapes en pratique ?
- Qui peut me soutenir ? Avec qui puis-je rester aujourd'hui ?
- Comment puis-je rentrer chez moi maintenant ?
- Face à d’autres mauvaises nouvelles, dans le passé, qu’est-ce qui m'avait aidé ?
Pour les proches
Les questions à (se) poser :
- Avant l’entretien, comment m’y préparer ?
- Que sais-je de l'évolution de la maladie, des entretiens précédents, de la gravité de la situation actuelle ?
- Suis-je disposé à endurer cette situation ?
- La personne concernée veut-elle que je sois là ?
- Pendant l'entretien
- Comment puis-je comprendre toutes les informations qui sont partagées ?
- Quel rôle puis-je et dois-je jouer ?
- Comment me comporter ? Rester «passif»
- le rythme de la conversation doit être fixé uniquement par la personne concernée et le médecin.
- Ne pas agir en tant que modérateur ou défenseur, mais être présent en tant que spectateur silencieux, qui peut poser des questions.
- Ais-je compris le message principal ?
- Après la conversation
- Proposer au proche de discuter à nouveau de la conclusion et de l'ensemble de la conversation.
- Respectez le fait qu’il ne souhaite pas du tout en parler
- Se concentrer sur l'aide pratique (organisert le retour à la maison, etc.).
- Demander simplement au proche si je dois rester, lui proposer de l’écouter.
- Ne pas chercher à trouver des solutions parfaites et immédiates.
- Réflexion personnelle
- Comment puis-je réfléchir à mon rôle et à mes actions pour faire face à la mauvaise nouvelle ?
- Ai-je besoin moi-même du soutien d’un professionnel ?
Un besoin de formation pour les médecins et étudiants
Le volet «enquête» du projet «Breaking bad news, auquel 831 médecins et 315 étudiants en médecine ont participé, a fourni ses premiers résultats.3 Le besoin de formation à l’entretien d’annonce semble flagrant.
Pour les médecins :
- Le stress moyen engendré par ces situations d’annonce est supérieur à 5 (échelle de 0 à 6).
- L'appréhension d'avoir des conversations avec les patients au sujet de mauvaises nouvelles est élevée (en moyenne supérieure à 3,5 sur une échelle de 0 à 4).
- Un peu moins d'un tiers des médecins ne se considèrent pas suffisamment préparés à cette éventualité.
Pour les étudiants :
- La moitié d'entre eux déclarent ne pas disposer de connaissances techniques sur l'entretien d'annonce.
- Sur une échelle de 0 à 6, ils ont évalué leur peur de cette tâche à plus de 5 en moyenne.
Les étudiants et les médecins sont unanimes : une formation complémentaire sur le thème de l’annonce des mauvaises nouvelles est indispensable et urgente. Sur une échelle allant de 0 à 9, ce besoin de formation est évalué à 8 en moyenne pour les étudiants et plus de 7 pour les médecins.
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Notes :
1- Arzt und Karriere – «Die Kunst, schlechte Nachrichten gut zu überbringen»
2- Projet Breaking Bad News (en coopération avec l'hôpital universitaire de la Charité à Berlin)
3- NOGGO-Intergroup-Studie: MONITOR 15 - Umfrage "Überbringung von schlechten Nachrichten in der Medizin“, E. Herzog, J. Sehouli et al, 2021