Durant les stades précoces de psychose, les signes cliniques des différentes pathologies psychotiques sont difficiles à distinguer. Il est donc très important de trouver des biomarqueurs précoces permettant d’établir un diagnostic différentiel, notamment pendant le premier épisode psychotique (FEP), où les anomalies cérébrales et déficiences cognitives vont rapidement progresser. L’expression de certains gènes dans le tissu cérébral comme dans le sang périphérique est associée aux troubles de type SCZ et BD, révélant un mécanisme pathophysiologique potentiellement commun, compliquant ainsi la différentiation des deux pathologies. De plus, les antipsychotiques ont un effet sur l’expression génique, d’où l’importance du FEP durant lequel les patients sont encore naïfs par rapport à une telle médication.
Une étude brésilienne concernant l’expression de gènes liés aux troubles psychotiques dans le sang de patients en FEP de type SCZ ou BD et de contrôles sains vient d’être publiée dans le journal Translational Psychiatry (DOI: 10.1038/tp.2016.159). L’analyse du niveau d’expression de 12 gènes a pour but de mettre en évidence de potentielles différences précoces entre les deux pathologies chez des patients sans traitement antipsychotique et d’en évaluer l’association aux caractères cliniques et à la sévérité psychotique. Les participants sont 69 patients en FEP (53 SCZ et 16 BD) et 73 volontaires sains appariés selon l’âge et le sexe. La psychopathologie des patients a été évaluée par l’échelle des symptômes positifs et négatifs (PANSS), l’échelle d’impression clinique globale (CGI), l’échelle d’évaluation globale du fonctionnement (GAF), l’échelle de dépression de Calgary pour la schizophrénie (CDSS) et l’échelle d’évaluation de la manie de Young (YMRS). Puis des échantillons sanguins ont été prélevés avant traitement antipsychotique pour extraire l’ARN et analyser l’expression des 12 gènes d’intérêt (association aux troubles psychotiques et expression dans le sang) par RT-PCR.
Les tests cliniques montrent un score plus élevé de la composante négative du PANSS chez les patients SCZ (27.32 vs. 15.67, p<0.001) et des scores plus élevés pour la composante d’excitation du PANSS (37.68 vs. 26.42, p=0.005) et pour l’évaluation de la gravité de la manie (score YMRS 27.23 vs. 11.63, p<0.001) chez les patients BD, qui présentent également un fonctionnement global plus pauvre (score GAF 20.43 vs. 31.96, p=0.002). Les autres tests ne montrent pas de différence significative entre patients SCZ et BD en période FEP.
Des différences significatives d’expression dans le sang périphérique sont observées pour 4 des 12 gènes étudiés. Les niveaux d’expression des gènes MBP et NDEL1 sont augmentés chez les patients SCZ (p=0.004 et 0.006) et BD (p=0.002 et 0.030) en comparaison avec les contrôles sains. Les gènes AKT1 et DICER sont quant à eux surexprimés chez les patients BD en comparaison aux patients SCZ (p=0.001 et <0.001) et aux contrôles sains (p<0.001). Il n’y a pas de différence significative d’expression de ces gènes entre les patients SCZ et les contrôles sains. Les différences d’expression mesurées ne sont pas associées à l’administration préalable de benzodiazépine ni à l’âge (p>0.05 dans les deux cas).
Aucune association n’a été montrée entre l’expression différentielle de ces 4 gènes et la sévérité des symptômes et des déficiences fonctionnelles.
Cette étude met en évidence des modulations d’expression génique chez des patients présentant des troubles psychotiques, au cours d’une période de FEP, avant traitement antipsychotique. Les 4 gènes en question ont un rôle dans le système nerveux central. Les gènes MBP (myélinisation) et NDEL1 (axonogenèse) apparaissent surexprimés chez les patients SCZ et BD, traduisant une relation à la psychose en général, sans potentiel discriminatoire, tandis que la surexpression des gènes AKT1 (neurogenèse) et DICER (myélinisation, maturation neuronale), uniquement chez les patients BD, pourrait être associée aux caractéristiques maniaques du trouble psychotique. AKT1 a été trouvé sous-exprimé chez des patients déprimés avec trouble bipolaire, suggérant une implication dans le pôle de l’humeur.
Ces résultats demandent confirmation, avec notamment une population plus grande concernant les patients BD. De même, il serait intéressant de considérer une population de patients présentant une manie sans symptôme psychotique. Enfin, les résultats d’expression génique peuvent être biaisés par l’hétérogénéité leucocytaire dans le sang. Cependant, l’analyse précoce en période FEP et avant l’administration d’une thérapie antipsychotique est la force de cette étude, et nécessite un matériel biologique à échantillonnage facilité comme le sang périphérique.
Texte : esanum / jd
Photo : pajtica / Shutterstock
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