La sexualité des Allemand.e.s... Pendant un an, les chercheurs du centre médical universitaire de Hambourg-Eppendorf se sont penchés de très près sur la question. Ils ont scruté la vie sexuelles de près de 5.000 personnes âgées de 18 à 75 ans. Les femmes ont été interviewées par des femmes, les hommes par des hommes. Types de rapports, nombre de partenaires, connaissance des infections sexuellement transmissibles... Attachez vos ceintures pour une discrète plongée dans l’intimité germanique.
«La plupart des Allemands sont satisfaits de leur vie de couple et de leurs relations sexuelles» a révélé le professeur Peer Briken, directeur de l'Institut pour la recherche sur la sexualité au sein du Centre médical. Ce qui n'empêche pas certaines personnes d'avoir des relations sexuelles hors du couple (hommes : 20 %, femmes : 13 %). Petit bémol, les célibataires ont moins de rapports sexuels que les couples engagés. Au cours des quatre semaines précédant le sondage 77% des célibataires n’avaient pas eu de rapports, versus 20% parmi les personnes en couple.
En moyenne, les femmes et les hommes âgés de 18 à 35 ans ont déclaré avoir eu des rapports sexuels environ cinq fois par mois. Quatre fois seulement pour les 36-55 ans. Une baisse classique mais cela n'empêche pas de nombreux Allemands seniors de chercher l’âme sœur, voire plus, via les applications. «Ces résultats sont tout à fait comparables à ceux d'autres pays» a déclaré M. Briken. Sans surprise, les pratiques hétérosexuelles les plus fréquemment mentionnées sont les rapports vaginaux et les relations sexuelles orales.
Près de la moitié des 18 à 25 ans ont vécu leur «première fois» avant leur 17e anniversaire (44% des hommes et 42% des femmes). Un chiffre qui n'a pas beaucoup changé au cours des dernières décennies. Par contre, dans la tranche d'âge des 66-75 ans, un.e Allemand.e sur cinq seulement avait eu sa première expérience sexuelle avant son 17e anniversaire.
En ce qui concerne le nombre moyen de partenaires sexuels, dans un contexte hétérosexuel les hommes sont loin devant avec 9,8 partenaires déclarés en moyenne. Les femmes n’en affichent que 6,1. Logiquement, ces chiffres devraient approximativement correspondre. Les chercheurs en déduisent que les hommes sont plus susceptibles de se déclarer sexuellement actifs ; les femmes au contraire se sentiraient perçues négativement en déclarant un nombre élevé de partenaires, d’où une sous-déclaration.
L'étude montre également que la plupart des Allemand.e.s connaissent les infections sexuellement transmissibles telles que le VIH (71,1 %), la gonorrhée (38,6 %) et la syphilis (31,9 %). Mais seule une personne sur dix connaît la chlamydia, l'herpès génital ou le condylome alors que ces affections sont bien plus fréquentes.
Lors de la présentation de cette étude en 2018, le professeur Briken avait expliqué qu’il est important de pouvoir évoquer la sexualité avec des données empiriques validées, afin d'apporter «plus de sérieux, de science et de sérénité au sujet.» Par cette étude, il voulait par exemple démonter certaines idées reçues, comme l’influence de la pornographie sur la sexualité où le fait que les jeunes soient actifs sexuellement de plus en plus tôt. À cette occasion, en 2018, M.Briken avait révélé les résultats d’une étude pilote portant sur 1.000 personnes.
Premier enseignement : c’est la durée de la relation qui influe le plus sur la fréquence des rapports sexuels. Au cours de la quatrième année de relation, un couple avait des rapports sexuels en moyenne à douze reprises sur une période de quatre semaines. Puis ce nombre se stabilisait ensuite à quatre fois par mois. Mais lorsque les personnes de 65 ans se remettaient en couple, la fréquence de leurs rapports sexuels au début était comparable à celle des couples de 25 ans. Le professeur Briken expliquait alors : «Cela suggère que la sexualité a une signification différente selon les phases. Elle conserve son caractère de créatrice de relations, mais ne joue plus ce rôle ensuite.»
Deuxième enseignement de cette étude pilote, les dysfonctionnements sexuels sont mal définis et mal pris en compte. Parmi les participant.e.s, 23% des couples n'avaient eu aucune relation sexuelle au cours des quatre dernières semaines, et 10% dans l’année écoulée. Le Pr Briken commentait ainsi : «Je ne trouve pas cela inquiétant. Les périodes sans sexualité, même dans les relations, ne devraient pas être pathologisées immédiatement. Cela fait partie de la pression sociale.» Par exemple, près de 90% des personnes déclaraient avoir eu des difficultés à atteindre l’orgasme au cours de l'année écoulée. Mais ce pourcentage tombait à 20-30% lorsqu’on leur demandait si ce problème avait duré six mois ou plus.
«Mais si les personnes en souffrent d'une manière ou d'une autre, si cela les rend insatisfaites ou entraîne des problèmes dans le couple, alors nous pouvons agir» ajoutait aussitôt le Pr Briken. Il constatait pourtant que ces personnes peinent à trouver des soins appropriés. «Ni les médecins généralistes, ni les urologues ou les gynécologues n'interrogent régulièrement leurs patients sur leur sexualité. Cela devrait changer. Beaucoup de gens n'abordent pas ce sujet de leur propre initiative, il s'agit donc d'une véritable tâche médicale […] En Allemagne, nous ne disposons pas de soins adéquats dans ce domaine.»
Pour Peer Briken, la contraception et l’indépendance matérielle au sein du couple ont détendu le rapport à la sexualité. Ce thème est désormais omniprésent, et Tinder et autres applications facilitent l’accès à la sexualité. Mais «cela ne signifie pas que les gens sont plus libres de s'occuper de leur désir ou de leur sexualité» nuance le spécialiste. Dans une société davantage centrée sur l’individu, toute personne est amenée à se demander si elle est sexuellement satisfaite. Est-ce une libération ou une nouvelle contrainte ? Une pression qui s'ajoute à celles issues de notre modèle capitaliste, basé sur la performance : les hommes et les femmes se doivent d’accéder aux différentes facettes d’une sexualité, et celle-ci se doit d’aboutir au plaisir.
Autre évolution sociétale, la pornographie est désormais partout. Modifie-t-elle les comportements ? Là aussi, M.Briken nuance : «Les essais jouent un rôle plus important : sexe anal, utilisation de sextoys, jeux sadomasochistes. Cependant, nous n'avons aucune preuve que les personnes en font des pratiques habituelles. En fin de compte, la plupart d’entre elles n’y accordent pas tant d’importance que ça.»
Dans cette étude pilote, 60% des hommes en couple stable consommaient régulièrement de la pornographie. Ce qui ne traduit pas forcément une insatisfaction d'après M.Briken. Il explique que pour lui «la pornographie liée à la masturbation s'est plutôt établie comme une forme de sexualité indépendante». Elle trouve sa place au sein des couples sans pour autant nuire à la relation. Les femmes en couple ont elles aussi recours plus largement à la masturbation, mais utilisent moins souvent du matériel pornographique. Par contre, si les couples de «jeunes» n'ont souvent aucun problème avec ces pratiques, la situation est différente pour les couples plus âgés.
Chez les plus jeunes, la pornographie modifie-t-elle l’apprentissage ou les représentations de la sexualité ? Pas si sûr. «Jusqu'à présent, aucune étude n'a montré que la consommation de pornographie sous quelque forme que ce soit affecte négativement la majorité des jeunes […] L'idée de ce que la sexualité signifie pour eux n'en est pas pour autant massivement modifiée.» Pour le spécialiste, les jeunes qui voudraient imiter des scènes de pornographie violente, ou qui considèrent qu’il s’agit là d’une sexualité ordinaire ne sont pas légion. Le discours de l’entourage - famille, amis, école… - est ici crucial pour les aider à faire la distinction.
Recherche de la performance, dépassement des tabous, pornographie… Bien loin de pratiques sexuelles idéalisées, ces études montrent que la réalité des alcôves est probablement peu spectaculaire.
La sexualité au quotidien peut être satisfaisante et avoir un effet positif sur les relations et sur la santé clame le Pr Briken. Il souhaite d'aileurs que soit utilisé le terme de «santé sexuelle» tel que défini par l'Organisation mondiale de la santé. «[Ce terme] signifie que toute personne a droit à une vie sexuelle satisfaisante, sans contraintes ni restrictions. Il couvre des aspects tels que le plaisir sexuel, l'aide en cas de dysfonctionnement sexuel ou la prévention de la violence sexuelle. [Ce terme] décrit un idéal, une utopie. Cela me plaît.»
Pour l’OMS, il ne s’agit pas de réfléchir en termes de normalité, mais de mettre l'accent sur la liberté et l'interaction respectueuse. Un discours qui tranche avec nombre d'injonctions. Et l'occasion pour Peer Briken de rappeler que «si le sexe n'est pas important pour vous, ne le faites pas, c'est bien aussi.»
Références :
Gesundheit und Sexualität in Deutschland (GeSiD) UKE und BZgA stellen erste Ergebnisse der repräsentativen Studie zur Sexualität Erwachsener in Deutschland vor
"Sex muss nicht spektakulär sein, um gut zu sein" (interview publiée dans le Frankfurter Allgemeine Sonntagszeitung le 04.11.2018)