Accès aux soins, tant de patients précaires renoncent
AME, CMU-C... Une large partie de la population qui pourrait bénéficier de ces prestations n'y a pas recours, et se retrouve de fait privée d'accès aux soins. Le rapport de la Drees qui vient de sortir brise quelques idées reçues.
Julien Aron est néphrologue.
Il exerce actuellement en Île-de-France. Il a notamment effectué plusieurs missions avec Médecins Sans Frontières (Afrique, France) et passé deux ans au Cambodge dans le cadre d'un Volontariat International en Administration (formation des médecins à la pédagogie médicale). Il est actuellement étudiant à l'École des Hautes Études en Sciences Sociales. Membre du SNJMG, il est chargé de mission pour les thématiques «Discriminations en Santé & Réseaux sociaux.» Par ailleurs, il anime la page Facebook et la chaîne YouTube «Les Dessous de la santé», qui abordent la santé en tant qu'objet politique et social.
Non-recours aux prestations sociales et renoncement aux soins
Le rapport de la Drees* sur le non-recours aux prestations sociales vient de sortir. 42 pages, super clair, je vous invite à le lire en entier. Il aborde le non-recours aux prestations par branche : Pauvreté (RSA etc.), Famille (congé paternité, etc.), Vieillesse (retrait etc.) et Santé auquel on va s’intéresser.
Parler du non-recours aux prestations est important car c’est très lié à la question complexe du renoncement au soin. De multiples facteurs entrent en compte : la question financière, mais aussi la distance géographique, la possession de capital culturel ou social, etc.
- Contrairement aux idées répandues quotidiennement sur certains groupes de médecins dans les réseaux sociaux, il est démontré que la consommation en soin des ménages à faible niveau de vie est inférieure à celle des autres ménages.
- D’autre part, les 20% les plus modestes sont deux fois plus nombreux que les autres à déclarer avoir des besoins en soin non satisfaits. Encore faut-il être en mesure d’identifier ces besoins, ce qui nous ramène à la question du capital culturel et social.
- Maintenant, parlons plus spécifiquement des prestations sociale «Santé» et de leur taux de non-recours. Tout d'abord, de quoi parle-t-on ? Les autrices du rapport rappellent les différences entre CMU-C, l'ACS (fusionnées dans la CSS depuis 2019), et l’AME.
- La CMU-C présente un taux de non-recours évalué entre 32% et 44%... Donc plus d'un tiers des personnes qui devraient y avoir accès ne l'ont pas ! Pour l'ACS, le taux non recours est estimé entre 53% et 67%. C'est hallucinant, non?
- Je passe sur la stigmatisation par les médecins des personnes ayant recours à la CMU-C. Banaliser le discours «Les CMU, ils sont chiant LOL XPTDR», ça peut éloigner encore plus de personnes du soin. Sinon - plus radical - les médecins les refusent en consultation.
- Les motifs de ces non-recours à l'ACS et la CMU-C sont variés:
- La non-connaissance (l’ACS, je n’ai pas le souvenir qu'on m'en ait parlé à la fac, pour vous dire!)
- La complexité (bénies soient les assistant·es sociaux·les)
- L’illétrisme
L'Aide médicale de l'État
L'AME, le fantasme préféré de l'extrême droite parce que... You know, xénophobie, racisme, what else ? Ici, on atteint carrément 50% de non-recours.
-
50% des personnes pouvant y recourir n'y ont pas accès.
- Même après 5 ans en France, 35% des personnes n'ont pas l'AME.
- Parmi elles, des personnes avec des maladies chroniques qui ne se font tout simplement pas soigner. D'où l’apparition de complications dramatiques, détectées trop tard (telles que l'insuffisance rénale).
(pour plus de précisions sur l'AME - formes, coûts, historique, évaluation, efficacité -, lire aussi L’Aide médicale de l'État : peu de données, beaucoup de fantasmes).
Un manque de données
Tous ces résultats sont à manier avec précaution, ce que les autrices rappellent à plusieurs reprises, du fait de la multiplicité des facteurs qui entrent en jeu.
Ma conclusion
Démarches complexes, renouvellement non automatique, mauvaise communication, voire discriminations directes... Il semble que notre système de santé fait tout pour créer du renoncement chez les plus précaires, plutôt que de chercher à y remédier.
Dr Julien Aron
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* Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques