Environ la moitié de ses patients ne parlent pas couramment l'anglais 1. L'interniste Elaine Khoong fait donc appel à un interprète, parfois par vidéo ou téléphone. À la fin d'une visite, elle remet ses instructions écrites aux patients. «Nous savons que les patients comprennent mieux s'ils reçoivent des instructions verbales et écrites» précise-t-elle. C’est à ce moment-là que dans sa clinique de San Francisco, comme dans tant d‘établissements de soins dans le monde, Google Translate entre en jeu.
Pour vérifier l’efficacité du logiciel gratuit, E.Khoong a réalisé une expérience1. Son équipe du Zuckerberg San Francisco General Hospital a utilisé Google Translate pour créer des versions chinoises et espagnoles des 100 séries d'instructions remises aux patients à leur sortie des urgences. Les médecins ont ensuite demandé à de «vrais» traducteurs de traduire en anglais les versions chinoises et espagnoles de Google Translate.
Google Translate a été plutôt performant : seules 8% des instructions en espagnol et 19 % de celles en chinois comportaient des erreurs, souvent mineures. 2% des instructions en espagnol et 8 % de celles en chinois étaient par contre susceptibles de causer un préjudice.
Le logiciel s'améliore. Une étude réalisée en 2014 avait examiné 10 phrases médicales courantes traduites en 26 langues. Seulement environ 58 % des traductions étaient exactes, et certaines erreurs étaient graves. En swahili - langue la plus parlée d'Afrique subsaharienne avec 90-110 millions de locuteurs - la phrase «votre enfant est en forme» était devenue «votre enfant est mort» . En marathi - langue parlée par environ 72 millions de personnes dans l’ouest de l’Inde - «votre mari a eu un arrêt cardiaque» avait été traduit par «votre mari a été emprisonné à cause de son cœur».
Jusqu'à l'automne 2016, les algorithmes traduisaient le texte phrase par phrase. Ils se trompaient souvent car étaient trop littéraux. Les nouveaux algorithmes analysent de grands morceaux de texte pour apprendre la façon dont les langues sont utilisées en natif. Patrick Davies, un médecin anglais qui a dirigé l'étude de 2014 prédisait l’efficacité grandissante de ces outils : «Pour les conversations sérieuses, nous avons encore besoin de l'aspect humain car il y a beaucoup d'intuition en jeu. Mais ces systèmes deviennent de plus en plus intelligents. On ne peut pas dire que les machines ne pourront jamais faire la même chose».
Jeffrey Jackson est interniste et épidémiologiste au Medical College of Wisconsin (Milwaukee). Pour lui, Google Translate sera vraiment fiable lorsqu’il saura distinguer les nuances qui permettent d’aborder des questions sensibles - sur le plan culturel ou personnel - avec tous les patients. Par contre, il estime que Google Translate est désormais suffisamment bon pour résoudre un problème commun dans la recherche médicale : plus de trois quarts des revue systématiques excluent des études ou des essais randomisés car ils ont été publiés dans d'autres langues. Une omission qui a un réel impact lorsque la revue n’analyse les résultats que de cinq ou six études, surtout si ceux-ci divergent.
Jackson, qui édite régulièrement des revues systématiques, a testé Google Translate sur des extraits de 45 études publiées en neuf langues. En juillet 2019, il a indiqué dans les Annals of Internal Medicine que les traductions étaient suffisamment précises pour être incluses dans les revues : «Cela a mieux fonctionné que ce que nous le pensions.»
En attendant, la prudence reste de mise : des erreurs de traduction mineures peuvent créer un malentendu lourd de conséquences. Quant à l’efficacité, in fine, de Google Translate sur l’amélioration de l’état de santé des patients, elle n’a pas été évaluée. «Est-ce qu'il aide plus qu'il ne nuit ? Nous ne le savons pas.» conclut Elaine Khoong.
Sources :
1-“Google Translate Under the Microscope”
Published on December 12, 2019
Proto Magazine website (edited by the Massachusetts General Hospital)
http://protomag.com/articles/google-translate-under-microscope
2-Assessing the Use of Google Translate for Spanish and Chinese Translations of Emergency Department Discharge Instructions
JAMA Intern Med. 2019;179(4):580-582.
doi:10.1001/jamainternmed.2018.7653