PrePARE : Effet du bolus sur le collapsus cardiovasculaire pendant l’induction séquence rapide
Journal Club Rebelem<br>Le collapsus cardiovasculaire péri-intubation peut concerner jusqu'à 25 % des patients. L'administration de solutés peut-elle aider à atténuer les effets hémodynamiques de l'intubation ?
Nous vous présentons ici la version française d’un article* écrit par Anand Swaminathan et publié sur REBEL EM le 11 novembre (Traduction d’Arnaud Depil-Duval, commentaires du Pr Pierre Pasquier - Service de santé des Armées).
Contexte
Le collapsus cardiovasculaire péri-intubation (choc, arrêt cardiaque ou décès) est une complication trop fréquente de la prise en charge des voies respiratoires chez les patients gravement malades pouvant concerner jusqu'à 25 % des patients (Jaber 2010, Umobong 2018).
Les causes de collapsus sont nombreuses et comprennent l'acidose, l'hypertension pulmonaire, la vasodilatation, les effets iatrogènes des médicaments (utilisés en intubation) et l'hypovolémie. L'administration de solutés peut aider à atténuer les effets hémodynamiques de l'intubation, en particulier si une diminution du retour veineux est un problème, mais cette approche n'a pas été testée.
Article de référence
Janz DR et al " Effect of a fluid bolus on cardiovascular collapse among critically ill adults undergoing tracheal intubation (PrePARE) : a randomised controlled trial."
ancet Respir Med 2019. IDAMP : 31585796
Question
L'administration d'un bolus de solutés à des patients gravement malades qui bénéficient d’une intubation réduit-elle le risque de collapsus cardiovasculaire ?
Population
Patients gravement malades âgés de plus de 18 ans qui subissent une intubation trachéale dans six unités de soins intensifs, une unité de traumatologie, une unité de soins intensifs neurologiques et un service des urgences.
Résultats
Primaire
Survenue du collapsus cardiovasculaire (nouvelle PAS < 65 mm Hg, utilisation ou augmentation des vasopresseurs) entre l'induction et 2 minutes après l'intubation ou l'arrêt cardiaque ou le décès dans l'heure suivant l'intubation trachéale.
Secondaire
Chaque composante individuelle du résultat primaire, tout apport supplémentaire de soluté, la PCS la plus faible, la modification de la PAS, le nombre de tentatives de laryngoscopie, le nombre de jours sans ventilation, le nombre de jours hors USI et la mortalité hospitalière dans les 28 jours.
Résultats sur le plan de l'innocuité
- saturation en O2 la plus faible,
- fraction la plus élevée d'O2 inspiré et PEP la plus élevée dans les 24 heures suivant l'intubation,
- dose cumulée de diurétiques et administration cumulative de solutés IV pendant les 3 premiers jours.
Intervention : 500 ml de sérum physiologique IV à 0,9 % administré avant l'induction de l'anesthésie
Forme de l’étude : Essai multicentrique, randomisé.
Exclusion
- Intubation vigile planifiée,
- Intubation ne pouvant pas attendre la randomisation,
- Lorsque les médecins estimaient que le bolus de soluté était nécessaire ou contre-indiqué pour des soins optimaux
- patient détenu ou femme enceinte.
Principaux résultats
- Inscrits : 337 sur un total proposé de 500 inscriptions prévues
- 168 en bolus liquidien : 165/168 ont reçu un bolus.
- 167 sans bolus liquidien : 2/167 ont reçu un bolus.
- 537 patients évalués pour le recrutement
- Environ 20 % des patients présentaient un choc septique
- L’étude a été arrêtée plus tôt que prévu en raison des conclusions d'une analyse intermédiaire.
Points forts
- L’étude pose une question clinique importante qui n'a pas été suffisamment abordée jusqu'à présent
- Les financeurs de l'étude n'ont joué aucun rôle dans sa conception, sa conduite, la collecte de données, la gestion, l'analyse, l'interprétation, la rédaction et l'approbation du compte-rendu.
- Le respect du protocole était élevé : seulement 1 % (5/337) des patients ont enfreint le protocole.
- Les caractéristiques de base étaient comparables en termes de diagnostics, d'indication pour l'intubation et d'utilisation des vasopresseurs.
- Les critères d'exclusion restreints augmentent la généralisation des résultats.
- Les paramètres de l'étude ont été recueillis par des observateurs indépendants (praticiens de soins intensifs) qui étaient présents dans la chambre du patient, mais qui n'ont pas participé à l'intervention.
- L'accord entre l'observateur indépendant et l’auteur de l'étude pour le résultat primaire était de 100 % dans un échantillon de commodité (n = 38) de patients.
Limites
- Une étude réalisée principalement en USI (8 sites sur 9) donc son application dans les services d’urgences est limitée.
- Pour le résultat principal, chaque composante n'est pas cliniquement égale
(décès ou arrêt cardiaque par rapport à la nouvelle PAS < 65 mm Hg).
- Dans un échantillon de commodité (n = 38) de patients inclus en fonction du volume de liquide perfusé avant l'induction, le volume médian de perfusion n'était que de 200 ml.
Il est possible que l'étude n'évalue pas réellement l'impact d’un bolus de solutés de 500 ml.
- L'incidence du résultat primaire était plus faible que dans les études antérieures, peut-être en raison de l'exclusion de 17 % des patients ayant été sélectionnés.
- L’échantillon plus restreint que prévu limite la possibilité d’exclure un effet d'un bolus de solutés dans les sous-groupes de patients présentant des interactions non significatives.
- Le volume de solutés reçus avant l’inclusion n'a pas été enregistré ; par conséquent, on ne sait pas s'il était équilibré entre les groupes ni pourquoi aucun avantage n'a été observé avec le remplissage vasculaire.
Discussion
- Comme pour toute étude, il n'y a pas de vérité universelle.
Est-ce que tous les patients bénéficieraient d'un bolus de solutés ?
Probablement pas, mais il y a peut-être un sous-groupe qui lui en bénéficierait.
Il peut s'agir de patients dont on sait qu'ils souffrent d'hypovolémie ou de patients dont la veine cave inférieure est plate à l’échographie.
Cependant, ces patients - dont le médecin estimait qu'ils bénéficieraient de ce bonus - ont été exclus. Ceci pourrait fausser l'effet réel d’une telle intervention.
- Un seul des sites inclus (sur 9) était un service d'urgence.
Étant donné que la plupart des patients se trouvaient en unité de soins intensifs, il est possible que leur remplissage vasculaire ait déjà été optimisé, ce qui diminue l'impact potentiel de cette intervention.
Une étude ultérieure future portant sur la prise en charge précoce des patients serait utile.
- Pour un faible pourcentage des patients seulement (~ 1,5 % au total) l’intubation était nécessaire en raison d’une instabilité hémodynamique.
- Ce groupe n'était peut-être pas le groupe optimal à étudier.
- Les solutés administrés par voie intraveineuse posent plusieurs questions :
- On ne sait pas exactement quelle quantité de solutés a été administrée avant l'inclusion dans le groupe « bolus de solutés ».
- Dans les cas observés, la médiane n'était que de 200 mL, mais le volume total peut avoir été très différent.
- Le volume de 500 mL de cristalloïde pourrait être insuffisant pour influencer l'hémodynamique du patient pendant l'intubation.
- Un bolus administré avant l’induction et diffusant pendant celle-ci aurait pu donner des résultats différents.
- Les patients qui ont reçu une ventilation à pression positive avant l'induction (ventilation au BAVU ou VNI) et un bolus présentaient un risque réduit de collapsus cardiovasculaire.
Par contre, le risque semble augmenter pour ceux qui ont eu un bolus mais pas de ventilation à pression positive (haut débit nasal).
Conclusions des auteurs
« L'administration d'un bolus de solutés intraveineux n'a pas diminué l'incidence globale de collapsus cardiovasculaire pendant l'intubation trachéale des adultes gravement malades par rapport à l'absence de bolus liquidien dans cet essai. »
Nos conclusions
Dans cet essai d'étiologie mixte, principalement en soins intensifs, le déclenchement d'un bolus de solutés n'a pas semblé diminuer le risque de collapsus cardiovasculaire péri-intubation.
Toutefois, ces données ne sont pas concluantes en raison de biais méthodologiques.
Dans la pratique
Nos connaissances préalables quant à la physiologie de l'intubation et la décompensation péri-intubation nous laissaient penser que l'administration systématique d'un bolus de solutés est peu susceptible d’avoir un intérêt. La présente étude ne les fait pas évoluer.
Il est peu probable que l'administration d'un bolus de solutés avant l'induction pré-intubation soit bénéfique pour l’ensemble des patients. Cependant, il existe probablement un sous-groupe pour lequel cette intervention aurait un intérêt. L'administration de solutés péri-intubation doit continuer d'être fondée sur l’évaluation individuelle réalisée par le médecin.
* Anand Swaminathan, "PrePARE: Effect of Fluid Bolus on CV Collapse During RSI"
REBEL EM blog, November 11, 2019.
Post Peer Reviewed By: Salim R. Rezaie, MD (Twitter: @srrezaie)
Références :
Jaber S, Jung B, Corne P, et al. An intervention to decrease complications related to endotracheal intubation in the intensive care unit: a prospective, multiple-center study. Intensive Care Med 2010; 36: 248–55. PMID: 19921148
Umobong EU, Mayo PH. Critical care airway management. Crit Care Clin 2018; 34: 313–24. PMID: 29907267
La French Touch
par le Pr Pierre Pasquier,
anesthésiste-réanimateur - Service de santé des armées
(Hôpital d’instruction des Armées Percy, école du Val-de-Grâce).
En situation d’urgence, l’intubation de la trachée après induction à séquence rapide est une période à haut risque d’instabilité hémodynamique.
En particulier chez le patient en état de choc, le choix des drogues d’induction et leurs posologies est essentiel : hypnotiques de court délai d’action et les moins dépresseurs au plan hémodynamique, posologies réduites de moitié au moins (kétamine 1 à 2 mg/kg, ou étomidate 0,2 mg/kg).
Par ailleurs, en 2016, les RFE «Intubation et extubation du patient de réanimation» ** ont recommandé l’utilisation d’un protocole hémodynamique, définissant les modalités du remplissage vasculaire et de la mise en place précoce de catécholamines pour diminuer les complications hémodynamiques lors de l'intubation des patients en réanimation (Grade 2+) Accord FORT.
Cela rejoint parfaitement l’analyse de cet article : «pas de vérité universelle».
Une stratégie hémodynamique dédiée doit être menée pour chaque patient chez qui une induction à séquence rapide va être conduite afin d’intuber la trachée. Celle-ci peut comprendre l’administration d’un bolus liquidien et/ou la perfusion continue de vasopresseurs.
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