Essai «CODA» : antibiotiques versus appendicectomie
Journal Club Rebelem<br>Appendicite : quand proposer les antibiotiques en première intention ? Retour sur une étude de référence et focus sur les critères à prendre en compte, notamment la présence d'un stercolithe. Le traitement médical : des résultat encourageants et une collaboration étroite indispensable entre urgentistes et chirurgiens.
Nous vous présentons ici la version française d’un article* écrit par Salim Rezaie et publié sur REBEL EM le 12 novembre (traduction et commentaires par le Docteur Laure Abensur Vuillaume - CHR Metz-Thionville).
Contexte
- Le traitement standard et bien établi de l'appendicite aiguë est l'appendicectomie chirurgicale. Des recherches récentes ont remis en cause la prédominance de l'approche chirurgicale en considérant uniquement les antibiotiques comme traitement.
- La littérature disponible sur le traitement non chirurgical de l'appendicite (non-operative treatment of appendicitis - NOTA) présente des limites importantes : exclusion des patients présentant des stercolithes, échantillon de petite taille et prédominance de l'appendicectomie ouverte sur l'appendicectomie laparoscopique.
- Bien que les données sur la NOTA soient intrigantes, il est clair que des études supplémentaires sont nécessaires.
L’article : The CODA Collaborative. A Randomized Trial Comparing Antibiotics with Appendectomy for Appendicitis. NEJM 2020.
PMID: 33017106
Pour le traitement de l’appendicite aigue chez l’adulte, les antibiotiques sont-ils non inférieurs à la chirurgie ?
Ce qu'ils ont fait :
- Comparaison des résultats des antibiotiques et de l'appendicectomie (CODA)
- Essai randomisé dans 25 centres américains, pragmatique, non en aveugle, de type non-infériorité
- Randomisation :
- Groupe antibiotique : au moins 24 heures d'antibiotiques par voie intraveineuse suivies d'un traitement de 10 jours.
- Groupe chirurgie : appendicectomie laparoscopique ou conventionnelle (ouverte).
Résultats
Primaires
- Etat de santé à 30 jours (évalué avec le questionnaire EQ-5D sur la qualité de vie européenne - 5 dimensions)
- Se concentre sur la mobilité, les soins personnels, les activités habituelles, la douleur/gêne et l'anxiété/dépression.
- Les scores vont de 0 à 1, les scores les plus élevés indiquant un meilleur état de santé.
- Marge de non-infériorité = 0,05 point.
Secondaires
- Résolution des symptômes signalée par le patient (définie comme l'absence de douleur, de sensibilité et de fièvre).
- Appendicectomie dans le groupe «antibiotiques».
- Complications telles que définies par le National Surgical Quality Improvement Program (NSQIP), au moment du traitement de référence ou lors des suites, à savoir :
- Les complications infectieuses liées au site (infections incisionnelles ou abcès) ; plus précisément, celles qui nécessitent un drainage percutané.
- Les réactions aux antibiotiques.
- Les infections diffuses.
- Des procédures chirurgicales plus étendues (résection intestinale, ré-opération, laparotomie, colostomie ou iléostomie).
- Perforation de l'appendice lors d'une opération.
- Néoplasie de l'appendice.
- Complications à 90 jours.
- Événements indésirables graves.
Inclusion
- Adultes anglophones ou hispanophones (≥18 ans) se présentant aux urgences
- Appendicite aiguë confirmée par l'imagerie
- Ne présentant pas de critères d'exclusion (NB : la perforation à l'imagerie n'était pas un critère d'exclusion)
Exclusion
- Choc septique
- Péritonite diffuse
- Appendicite récurrente
- Preuve d'un phlegmon sévère à l'imagerie (tel que le chirurgien détermine qu'une opération extensive comme une iléocolectomie est susceptible d'être effectuée)
- Abcès de paroi
- Pneumopéritoine ou péritonite
- Arguments orientant vers une néoplasie
- Patients détenus
- Immunodéficience
- Insuffisance hépatique non compensée
- MICI traitée
- Traitement actif d’un cancer non en rémission
- Grossesse
- Pose récente (dans les 90 jours) d'un implant chirurgical
- Présence d’un défibrillateur implanté ou pacemaker
- Imagerie comportant l'un des éléments suivants : masse des tissus mous de l'appendice, imagerie caractéristique d'une mucocèle ou d'une tumeur susceptible d'être maligne, suspicion de carcinomatose
- Allergie grave aux antibiotiques proposés
- Chirurgie abdominale ou pelvienne au cours du mois dernier.
Résultats
- 1.552 patients ont été randomisés. 414 avaient un stercolithe.
- Questionnaire EQ-5D à J30 :
- Antibiotiques : 0.92 +/- 0.13
- Chirurgie : 0.91 +/- 0.13
- Différence moyenne de 0,01 point ; IC à 95% -0,001 à 0,03
- Les résultats étaient similaires dans l'analyse conforme au protocole (différence moyenne de 0,01 point ; IC à 95% -0,002 à 0,03).
- Dans le groupe des antibiotiques :
- 11% ont été opérés dans les 48 heures
- 20% ont subi une intervention chirurgicale avant 30 jours
- 29% ont subi une intervention chirurgicale dans les 90 jours
- 41% ont subi une intervention chirurgicale dans les 90 jours en présence d’un stercolithe
- 25% ont subi une intervention chirurgicale dans les 90 jours en l'absence d'un stercolithe
- Complications telles que définies par le NSQIP
- Antibiotiques : 8,1 pour 100 participants
- Chirurgie : 3,5 pour 100 participants
- OR 2,28 ; 95 % IC 1,30 à 3,98
- Complications pour les patients avec stercolithe
- Antibiotiques : 20,2 pour 100 participants
- La chirurgie : 3,6 pour 100 participants
- OR : 5,69 ; 95 % IC 2,11 à 15,38
- Complications pour les patients sans stercolithe
- Antibiotiques : 3,7 pour 100 participants
- Chirurgie : 3,5 pour 100 participants
- OR : 1,05 ; IC à 95 % : 0,45 à 2,43
- Aucune différence dans la disparition des symptômes au 7e, 14e ou 30e jour entre les groupes.
- Le nombre moyen de jours de travail manqués pour les patients était de 5,26 jours dans le groupe «antibiotiques» et de 8,73 jours dans le groupe des appendicectomies.
- Aucun décès
Points forts de l’étude
- Le plus grand essai contrôlé randomisé sur les NOTA.
- Les patients ont été inclus de façon consécutive, ce qui a permis d'éviter les biais de sélection.
- L'essai a été conçu pour identifier les résultats que les patients considèrent comme les plus importants.
- Les analyses ont été pré-spécifiées en sous-groupes selon la présence ou non d'un stercolithe.
- Un conseil indépendant de surveillance des données et de la sécurité a vérifié que trois analyses intermédiaires ont été effectuées chaque année et n'a pas recommandé l'arrêt de l'essai.
- Une analyse secondaire conforme au protocole des scores EQ-5D et des événements indésirables graves à 30 jours a été effectuée afin d'éviter un éventuel biais de sélection.
- Les patients qui n'ont pas été randomisés ont été inscrits soit dans une cohorte par observation soit dans une cohorte avec suivi du dossier médical.
- Taux d'achèvement de l'enquête de 90% au 30e jour et de 86% au 90e jour.
- Les caractéristiques sociodémographiques et cliniques étaient similaires entre les groupes.
- L'observance du traitement était de 90% chez les participants du groupe des antibiotiques.
- Critères d'inclusion larges réduisant les risques de biais de sélection.
Limitations
- Un essai non à l'insu avec un résultat primaire subjectif peut influencer les résultats de l'essai.
- La quantité d'analgésiques ou d'antalgiques fournie n'était pas normalisée ni contrôlée dans l'un ou l'autre groupe.
- Environ 14% des patients ont été perdus de vue.
- Un suivi à 90 jours peut être trop court pour observer le taux de récidive et les complications à long terme dans le groupe des antibiotiques.
- Tous les patients soufrant d'appendicite ont été contactés pour participer mais seulement 30% des patients éligibles ont accepté d'être randomisés.
- Il n'y avait pas de protocole pour préciser les critères d'hospitalisation ou les posologies d'antibiotiques.
Discussion
- Les antibiotiques les plus courants dans l'essai ont été :
- Voie initiale par IV (au moins 24 heures) : ertapénem, céfoxitine OU métronidazole plus l'un des suivants : ceftriaxone, céfazoline, lévofloxacine.
- Per os (le reste des 10 jours) : métronidazole plus ciprofloxacine ou cefdinir.
- Les auteurs avaient initialement prévu de communiquer les résultats après que tous les participants aient eu au moins un an de suivi. Cependant, en raison de la pandémie de COVID-19, les résultats sont basés sur les 90 jours après la randomisation.
- Bien que les chirurgiens aient eu la possibilité de pratiquer l'appendicectomie par voie laparoscopique ou ouverte, 96% d'entre eux l'ont fait par voie laparoscopique.
Dans les études précédentes, l'appendicectomie ouverte était plus courante, et cette procédure est associée à plus de complications. La prédominance de l'appendicectomie laparoscopique reflète mieux la pratique actuelle.
- Le délai avant la sortie des urgences ou de l'hôpital était de 1,33 jours dans le groupe des antibiotiques et de 1,3 jours dans le groupe de l'appendicectomie (c'est-à-dire aucune différence).
- Les procédures de drainage percutané étaient plus fréquentes dans le groupe «antibiotiques» que dans celui des appendicectomies (2,5 contre 0,5 pour 100 participants ; taux de 5,36 ; IC 95% 1,55 à 18,50), en particulier pour les personnes ayant un appendicolithe.
- Lorsque l'analyse a été limitée aux participants des deux groupes ayant subi une appendicectomie, le pourcentage de perforation était plus élevé dans le groupe des antibiotiques que dans celui de l'appendicectomie (32% contre 16%). Ce taux plus élevé était attribuable à ceux qui avaient un appendicolithe (61% contre 24%) et non à ceux qui n'en avaient pas (14% contre 13%).
Conclusion de l'auteur
«Pour le traitement de l'appendicite, les antibiotiques n'étaient pas inférieurs à l'appendicectomie sur la base des résultats d'une mesure standard de l'état de santé. Dans le groupe des antibiotiques, près de 3 participants sur 10 avaient subi une appendicectomie à 90 jours. Les participants ayant un stercolithe présentaient un risque plus élevé d'appendicectomie et de complications que ceux qui n'en avaient pas.»
Clinical Take Home Point
- Bien qu'une première stratégie antibiotique n'ait pas été inférieure dans cet essai par rapport à l'appendicectomie, près de 3 patients sur 10 avaient ensuite subi une appendicectomie à 90 jours.
- Il y a eu 3 fois plus de visites aux urgences et 2 fois plus de complications (Ceci pourrait être compensé par moins de jours d'absence au travail).
- Les patients ayant un stercolithe ont un risque beaucoup plus élevé de complications et de recours à la chirurgie. Chez ces patients, une stratégie d'antibiothérapie en première intention ne devrait pas être recommandée.
French Touch
L’avènement du traitement médical de l’appendicite ces dernières années vient bouleverser les pratiques chirurgicales ancestrales. Les résultats sont prometteurs et demande à être confortés, principalement sur le risque de récidive au long court.
Avec 24h d’antibiothérapie IV et une prise en charge à domicile par la suite, le traitement médical de l’appendicite pourrait devenir un motif d’entrée future en UHCD et l'occasion d'une collaboration intéressante supplémentaire avec nos confrères chirurgiens.
L’éducation thérapeutique de ces patients, notamment à la re-consultation, sera un sujet pivot dans leur prise en charge.
Retrouvez tous nos articles sur Twitter, LinkedIn et Facebook.
Vous êtes médecin ?
Pour recevoir une sélection de nos articles ou les commenter sur le site, il vous suffit de vous inscrire.
Références :
- The CODA Collaborative. A Randomized Trial Comparing Antibiotics with Appendectomy for Appendicitis. NEJM 2020. PMID: 33017106
- Jacobs D. Antibitoics for Appendicitis – Proceed with Caution. NEJM 2020. PMID: 33017105