Si les hôpitaux magnétiques sont porteurs d’espoir et de nouveaux horizons, il n’en reste pas moins peu accessibles à l’échelle individuelle. On peut vite se sentir découragé lorsque l’on tente d’œuvrer à son niveau pour changer une organisation, ou se dire que cela marche chez les autres… mais pas chez nous.
Me voici donc à chercher du côté des «petits pas». Quel est ce «plus petit pas possible» ? Quelle proposition est accessible au plus grand nombre, facilement, rapidement, sans coût supplémentaire, sans adaptation législative ? Que peut-on faire à l’échelle d’un service ou d’une équipe, sans avoir l’aval d’éventuels supérieurs hiérarchiques situés hors du service ?
En guise de premier pas, voici la «démarche participative» !
Le modèle organisationnel de la démarche participative (DP) est né au début des années 90. Le point de départ, ce fut le constat par le Pr Philippe Colombat 2 et un groupe de soignants en hématologie de la fréquence de la souffrance des soignants dans cette spécialité. Ce groupe s’est constitué en association, le Groupe de réflexion sur l’accompagnement et les soins palliatifs en hématologie (Grasph), devenu plus tard Grasspho puis Association francophone des soins oncologiques de support (Afsos).
L’objectif était de proposer un modèle de fonctionnement au niveau des services, qui puisse optimiser la qualité de prise en charge des patients et de leurs proches, tout en diminuant la souffrance des soignants.
Le modèle organisationnel de la démarche participative repose sur la mise en place d’espaces d’échanges au niveau des services de soins, qui se décline autour de 5 piliers 3 :
Chaque semaine, tous les soignants du service, quelles que soient leurs qualifications (aides-soignantes, infirmières, cadres de santé, médecins) et les professionnels de soins de support sont présents. L’objectif est de proposer un véritable projet personnalisé de santé (PPS) et de prendre, ensemble, les décisions éthiques liées aux soins. «Nous insistons beaucoup sur l’ordre de prise de parole et nous préconisons que l’aide-soignante, l’infirmière et les professionnels de soins de support puissent s’exprimer avant les médecins présents» précise le Pr Philippe Colombat.
La prise de décision s’effectue par la recherche collégiale d’un consensus en utilisant la technique des tours de table. La chronologie de la réunion est toujours la même :
Elles permettent de former l’ensemble de l’équipe (toutes catégories socioprofessionnelles confondues ) sur des sujets choisis ensemble. Ces formations favorisent les relations interprofessionnelles dans un contexte de construction identitaire d’une équipe qui produit une même prestation de soins.
Ces staffs de débriefing permettent aux soignants de déchiffrer la situation vécue, en présence d’un(e) psychothérapeute extérieur au service.
Il s’agit de mettre en place des groupes de travail pour faire des propositions soit face à un dysfonctionnement, soit par volonté d’amélioration.
Elles leur permettent d'acquérir des valeurs et des pratiques managériales communes.
Il est vrai que ces caractéristiques relèvent du bon sens et peuvent paraître faciles à mettre en place. Là où cela se complique, c’est que ce type de management d’équipe peut heurter l’égo… Il est nécessaire d’avoir travaillé sur soi pour accepter de redonner du pouvoir d’agir aux acteurs de terrain.
L’équipe du Pr Colombat a réalisé plusieurs études 4 qui démontrent que cette démarche participative favorise une qualité de vie au travail épanouissante. Ce management participatif permet de rétablir, à tous les niveaux, la confiance dans l’institution. Il est un moyen de reconnaître et de respecter les professionnels, donc de les motiver. Les études réalisées ont aussi démontré que cette approche permet d’améliorer la qualité des soins.5
La qualité de coopération entre le chef de service et le/la cadre de santé est déterminante. C’est la condition pour aboutir à un fonctionnement optimal de cette démarche participative. Un management (médical ou paramédical) trop directif est clairement incompatible avec ce type d’approche.
Le pilier essentiel de cette démarche participative, ce sont les staffs pluriprofessionnels et la qualité des échanges. D’où le rôle fondamental du manager-facilitateur qui anime la réunion. Il doit être vigilant sur l’ordre de parole cité plus haut, et favoriser un climat d’écoute respectueux de l’opinion de chacun. Il est aussi important d’adapter la charge de travail pour permettre de dégager le temps nécessaire à ces espaces d’échanges.
Notes :
1- Vaillant L., Réinventons le secteur de la santé. Ils l’ont fait, découvrez leurs clés ! , Afnor Editions, 2019.
2- Professeur honoraire en hématologie, chercheur en psychologie du travail et des organisations à l’université de Tours, membre du laboratoire QUALIPSY, président de l’observatoire national de la qualité de vie au travail des professionnels de santé.
Auteur de Démarche participative et qualité de vie au travail (2e édition) ed. Lamarre – 2020
3- Colombat P., Qualité de vie au travail et management participatif, ed. Lamarre (collection «Cadres de santé») – 2012
4-
- Colombat P., Qualité de vie au travail et management participatif, ed. Lamarre (collection «Cadres de santé») – 2012
- Colombat P., Bauchetet C., «La démarche participative dans les soins», Gestions hospitalières, mars 2014, n° 534, p. 151-157.
- Colombat P., Lejeune J., «La démarche participative, un enjeu pour le système de soins ?», Risques et Qualité, 2018, XV(1):15-19.
- Gillet N., Colombat P., Michinov E. et al.,
“Procedural justice, supervisor autonomy support, work satisfaction, organizational identification and job performance: the mediating role of need satisfaction and percieved organizational support”, Journal Advanced Nursing, 2013, 69(11):2560–2571
5- Julien Lejeune, Evelyne Fouquereau, Denis Chênevert, Helene Coillot, Severine Chevalier, Nicolas Gillet, Jean M Michon, Virginie Gandemer, Philippe Colombat
"The Participatory Approach: A Specific French Organizational Model at the Department Level to Serve the Quality of Work Life of Healthcare Providers and the Quality of Care in Pediatric Oncology"
Cancer Management and Research 2021:13 2763–2771