Covid-19 : la newsletter du Pr Adnet<br>(N°59 - 21 septembre)
La transmission du SARS-CoV-2 par les personnes vaccinées est atténuée. Femmes enceintes : pas d'impact du vaccin sur le risque d'avortement spontané. L’immunité procurée par le virus semble plus robuste que celle induite par le vaccin. Anakinra : un traitement de l'orage cytokinique enterré trop tôt ? L’administration précoce de corticoïdes inhalés a un effet bénéfique.
Frédéric Adnet est professeur agrégé de Médecine d'Urgence et chef des Urgences de l’Hôpital Avicenne et du SAMU 93. À la fois chercheur et médecin, il fait régulièrement le point sur la Covid-19. Après 46 numéros d'une Foire Aux Questions (FAQ) quotidienne, il publie désormais une newsletter. Nous la reproduisons ici avec son aimable autorisation.
Sa FAQ a connu un succès phénoménal. À l'origine destinée aux professionnels de son service, elle est maintenant traduite en plusieurs langues. Dans son interview, Frédéric Adnet revient sur ce succès et explique son attachement à l'Evidence-based medicine.
Frédéric Adnet est également l'auteur de l'ouvrage Les Fantassins de la République - Urgence COVID, un printemps en enfer, paru en octobre 2020.
INDEX et liste des FAQ / Newsletters
NEWSLETTER N°59 (21 septembre 2021)
VACCINS
La troisième dose est-elle efficace ?
La problématique de l’injection de rappel (troisième dose) a été posée sans qu’il existe réellement un rationnel fort permettant de la justifier. Nous savons par contre que l’immunité vaccinale décline au cours du temps et qu’elle est moins efficace chez les patients immunodéprimés. Ces données pourraient justifier la dose de rappel, afin de permettre un effet «booster» sur la réponse immunitaire.
Une équipe de chercheurs israéliens a pu étudier «dans la vraie vie» l’effet d’une troisième dose de vaccin Pfizer-BioNTech®. Ils ont comparé, après ajustement :
- une population de patients de plus de 60 ans vaccinés avec deux doses («groupe non-booster», N=5,2 millions personne.jours),
- et ceux vaccinés avec une troisième dose administrée après au moins 6 mois suivant la deuxième dose («groupe booster», N=10,6 personne.jours).
(L’unité « personne.jours » est le produit du nombre de personnes avec la durée d’observation, en jours).
Résultats
- Dans le groupe «booster» :
- le taux d’infections Covid-19 a baissé d’un facteur 11,3 par rapport au groupe « non booster » (IC95% [10,4-12,3])
- et le taux de Covid-19 sévères était diminué d’un facteur 19,5, IC95%[12,9-29,5] (NEJM, 15 septembre 2021).
- L’effet était nettement plus important après le 12e jour suivant la vaccination de rappel.
Un bon argument en faveur du rappel vaccinal !
Les vaccins ne sont pas tous égaux !
Nous avons sur le marché français quatre vaccins avec des principes différents (soit ARNm soit vectorisation par adénovirus). Les résultats in vitro ont montré des efficacités importantes mais légèrement différentes. Qu’en est-il dans la vraie vie ?
Une étude populationnelle a quantifié l’efficacité des deux vaccins à ARNm et du vaccin à adénovirus Janssen®. En réalisant une étude cas-témoins à partir d’un échantillon de 3.689 patients Covid-19+ hospitalisés aux États-Unis (1.692 cas Covid-19 et 2.007 contrôles), des auteurs ont pu déterminer l’efficacité clinique (critère : Covid-19 nécessitant une hospitalisation) de ces trois vaccins (Morbidity and Mortality Weekly Report, 15 septembre 2021).
Globalement :
- 64% des patients étaient non vaccinés,
- Parmi les vaccinés :
- 12,9% étaient vaccinés avec le Moderna®,
- 20,0% avec le Pfizer-BioNTech,
- et 3,1% avec le Janssen®.
- Après ajustement l’efficacité était de 93%, (IC95%[91%-95%]) pour le Moderna®, 88% (IC95%[85%-91%]) pour le Pfizer-BioNTech et de 71% pour le Janssen® (IC95%[56-81]).
- Ces différences étaient significatives. Cette efficacité clinique était retrouvée sur le taux d’IgG anti-Protéine S. Les taux d’anticorps déclinaient aussi après quatre mois suivant la deuxième dose pour le vaccin Pfizer-BioNTech.
Bon, ben... Vive le Moderna® !
[Merci au Dr Axel Ellrodt]
Transmission du SARS-CoV-2 par les vaccinés
L’échec de l’immunité collective pour arrêter la diffusion de l’épidémie vient du fait que les personnes vaccinées peuvent transmettre le virus. Il est important de savoir si ce pouvoir de transmission est toutefois atténué par le vaccin. C’est ce qu’ont déterminé des auteurs américains, qui ont comparé chez des soignants et leur entourage les périodes où ils étaient vaccinés et celles sans vaccination.
- Ils ont étudié 194.362 proches de 144.525 soignants entre mars 2020 et novembre 2020 (NEJM, 8 septembre 2021).
- Parmi les soignants, 78,4% avaient reçu au moins une dose de vaccin et 25,1% les deux doses.
- La période «non-vaccin» était la période où les personnels n’étaient pas vaccinés et la période «vaccin» débutait 14 jours après l’administration de la première dose.
Résultats :
- il y avait environ deux fois moins de transmission de la maladie lorsque les soignants étaient vaccinés, comparé à la période «non-vaccin» : 5,93 contaminations par 100 personnes-année vs. 9,40).
- Ce taux tombait à 2,98 contaminations par personnes-année lorsque les soignants étaient complètement vaccinés (deux doses).
- Après ajustement, la probabilité de transmettre le virus à son entourage diminuait d’un facteur supérieur à deux lorsque l’on était complètement vacciné (aHR=0,46, ; IC95%[0,30-0,70]).
Ce vaccin permet donc d’atténuer la propagation du virus.
Vaccin et grossesse : quel est le risque d’avortement ?
La vaccination au cours de la grossesse est un débat qui est toujours d’actualité, alors que nous avons largement rapporté les preuves de son innocuité chez la femme enceinte (cf.newsletter n°49) et que par ailleurs la Covid-19 expose à des risques importants chez les parturientes (cf. newsletters n°20 et n°45). Des auteurs ont étudié une cohorte de parturientes vaccinées (JAMA, 8 septembre 2021).
- Cette cohorte représentait 8,0% de la population des parturientes (N=250.944).
- Dans la cohorte des patientes ayant subi un avortement spontané (N=13.160), les auteurs ont retrouvé la même distribution de personnes vaccinées/non-vaccinées, avec 8,6% de parturientes vaccinées (aOR=1,02, IC95%[0,96-1,08]).
- Cette absence de différence se retrouvait quelque que soit la classe d’âge gestationnel.
Les vaccins n’entrainent donc pas un risque supplémentaire d’avortement spontané au cours de la grossesse !
Immunité naturelle versus immunité vaccinale
Quelle est l’immunité la plus efface ? Celle due au vaccin ou bien l’immunité qui suit une infection par le SARS-CoV-2 ? (pour mémoire, nous avons déjà vu que la vaccination des patients séropositifs permettait de booster la réponse immunitaire [cf. newsletters n°38 et n°42]). C’est à cette question qu’ont tenté de répondre une équipe de chercheurs israéliens (medRvixiv non encore reviewé, 25 août 2021).
- Ils ont comparé :
- des patients vaccinés mais naïfs de la Covid-19 (N=673.676)
- des patients vaccinés (1 dose) ayant été infectés auparavant par le SARS-CoV-2 (N=42.099),
- et des patients non vaccinés ayant été infectés la Covid-19 (N=62.883).
- Divers modèles d’appariement entre ces trois cohortes convergent tous vers le même résultat : l’immunité procurée par le virus semble plus robuste que celle induite par le vaccin.
- Les patients vaccinés sans avoir été infectés ont 13,06 fois plus de chance (IC95%[8,08-21,11] de présenter une Covid-19 comparés aux patients infectés et non vaccinés.
- Ce rapport était retrouvé à 5,96 (IC95%[4,85-7,33] lorsque ces patients naïfs étaient comparés aux infectés-vaccinés.
- Le risque d’une hospitalisation en rapport avec la Covid-19 était également plus important dans le groupe des patients naïfs de toute infection.
Ceci est assez logique : l’immunité naturelle contre le virus provoque l’apparition d’un «cocktail» d’anticorps alors que le vaccin ne cible que la protéine S virale.
TRAITEMENTS
Anakinra : enterrée trop tôt ?
En général, les traitements ciblant l’orage cytokinique (c'est-à-dire la réponse inflammatoire disproportionnée au cours de la Covid-19) ont été décevants. Dans cette optique, beaucoup de traitements anti-cytokines ont été expérimentés. L’anakinra est une molécule anti-interleukine 1 (IL-1α/ß) qui vient de démontrer une certaine efficacité dans un article récemment publié (Nature Medicine, 3 septembre 2021).
Nous avions déjà rapporté des résultats pour ce médicament issus d’une étude «positive» (cf. newsletter n°4) et d’une étude autre «très négative» (cf. newsletter n°26). Dans ce nouvel essai randomisé, en double aveugle, les auteurs ont inclus des patients hospitalisés Covid-19+ avec un risque d’aggravation défini par un taux plasmatique de suPAR (soluble urokinase Plasminogen Activator Receptor) > 6 ng/mL. Le suPAR est une protéine qui a montré une certaine efficacité dans la prédiction d’une évolution vers les formes graves pour diverses pathologies dont la Covid-19.
- Dans cette étude, le groupe placebo concernait 189 patients et 405 patients recevaient l’anakinra (groupe expérimental).
- Le critère d’évaluation principal était l’aggravation clinique définie par un score international en 11 points (1 = décès à 11= guéri) et évalué à J28.
- L’évolution était plus favorable dans le groupe anakinra avec 50,4% des patients considérés comme guéris vs. 26,5% dans le groupe placebo.
- La mortalité était de 6,9% dans le groupe placebo vs. 3,2% dans le groupe expérimental.
Bon, étude intéressante, à haut niveau de preuve, mais qui mérite une confirmation (compte tenu des autres études non convaincantes) en randomisant les patients hospitalisés sans utiliser ce marqueur biologique qui n’a pas encore fait la preuve absolue de sa pertinence, et en étudiant simplement la mortalité.
[Merci au Dr Patrick Miroux]
Corticoïdes inhalés : une confirmation
Nous avions vu dans une étude bien construite (cf. newsletter n°48) que l’administration de corticoïdes inhalés (budesonide, Pulmicort®) pouvait – lors d’une administration précoce chez des patients ambulatoires – avoir un effet bénéfique sur le risque d’être hospitalisé.
Le Lancet publie un essai de plus grande taille en testant ce traitement sur une population de patients Covid-19+ de plus de 60 ans ou plus de 50 ans avec comorbidités afin de sélectionner les patients les plus à risque d’hospitalisation (Lancet, 10 août 2021).
- Dans cet essai randomisé, en ouvert et en simple aveugle, le groupe intervention recevait en plus du traitement standard de la budesonide inhalée 800µg x2/jour pendant 14 jours (N=833).
- Il y avait deux autres groupes pour la comparaison : le groupe traitement standard seul (N=1.126) et un groupe avec d’autres traitements expérimentaux (N =674).
- Le critère d’évaluation était composite et comprenait :
- le délai pour avoir la sensation d’être guéri (auto-évaluation),
- et le taux d’hospitalisation ou de mortalité analysé à J28.
- L’analyse était de type bayésien.
Résultats
- Il y avait une réduction du délai de sensation de guérison dans le groupe expérimental par rapport au groupe contrôle : 11,8 jours (ICr95%[10,0-14,1]]) vs. 14,7 jours (ICr95%[12,3-18,0]) avec une probabilité de supériorité de 0,999 (significatif par rapport aux hypothèses des auteurs qui étaient de 0,990).
- Pour le critère «décès ou hospitalisation», il y avait une baisse dans le groupe «budésonide» par rapport au groupe contrôle : 6,8% vs. 8,8% avec une probabilité de supériorité de 0,963. Cette valeur n’atteignait pas l’hypothèse de supériorité des auteurs qui était de 0,975.
Cette étude met donc en évidence un effet bénéfique de ce traitement avec une tendance vers une amélioration en termes de critères durs comme les hospitalisations ou la survenue de décès. C’est une étude à haut niveau de preuve, mais on aimerait une confirmation sur les critères durs comme la mortalité, l’effet paraissant modeste tout de même…
Ne manquez pas les newsletters du Pr Adnet ! Retrouvez-nous sur LinkedIn et Facebook.
Vous êtes médecin ?
Pour recevoir une sélection de nos articles ou les commenter sur le site, il vous suffit de vous inscrire.