Covid-19 : la newsletter du Pr Adnet (N°9 - 07 juillet)
Une 9e newsletter riche en données physiologiques, avec un point sur le nouveau variant du virus et sur l'immunité cellulaire (qui semble efficace même chez les séronégatifs !). On y parle aussi de l’orage cytokinique (terme largement employé, et peut-être un peu vite) et du Syndrome inflammatoire multi-systémique chez les enfants post-COVID-19. Enfin, un énième épisode sur l’hydroxychloroquine (toujours pas convaincante), et les chiffres de la mortalité des patients admis en réanimation, à l'échelle mondiale.
Depuis le 12 mars, le Pr Frédéric Adnet - professeur agrégé de Médecine d'Urgence, chef des Urgences de l’Hôpital Avicenne et du SAMU 93 - fait régulièrement le point sur le Covid-19.
Après 46 numéros d'une FAQ quotidienne, il propose désormais une newsletter hebdomadaire. Nous la reproduisons ici avec son aimable autorisation.
INDEX et liste des FAQ / Newsletters
NEWSLETTER N°9 (07 juillet)
ÉPIDÉMIOLOGIE
Le SARS-CoV-2 nouveau est arrivé !
Le virus SARS-CoV-2 mute !
Un nouveau variant est en train de se disséminer dans le monde entier pour devenir la forme dominante. Il s’agit de la forme G419 qui remplace le virus qui a disséminé en Europe et en Chine : le D614 (Cell, 26 juin 2020).
- La mutation vient d‘une région d’acide nucléique codant la protéine S (Spike) qui est responsable de l’accrochage du virus sur les récepteurs ACE2 présents dans les membranes des cellules respiratoires (arbre trachéo-bronchique et pulmonaire). La forme D614 optimiserait la reconnaissance du virus sur son récepteur cellulaire.
- Ainsi, les caractéristiques de son infectiosité sont modifiées. Les chercheurs ont trouvé que ce nouveau variant, non seulement envahit le monde entier, mais est à l’origine de charges virales plus élevées.
- Dans une série de 999 patients infectés il n’y avait pas de différence entre le pourcentage de formes graves pour le G419 et le nouveau D614.
- Il semble ainsi que ce virus ne soit pas plus virulent (agressif) mais beaucoup plus contagieux, ce qui expliquerait le rebond de la pandémie que nous vivons actuellement.
L’immunité cellulaire : la grande oubliée ?
Nous savons presque tout sur l’immunité humorale, c’est-à-dire la production d’immunoglobulines (IgG et IgM) qui neutralise le virus quand elle est efficace. L’immunité cellulaire médiée par les lymphocytes T possède une action directe contre la cellule infectée par le virus (fonction cytotoxique) mais aussi la fonction de garder en mémoire ce virus pour contrer de nouvelles infections. C’est la base de l’efficacité des vaccins.
Alors que la réponse humorale est variable et est considérée comme inconstante surtout dans les formes asymptomatiques ou mineures du COVID-19, qu’en est-il pour l’immunité cellulaire ? Une équipe de chercheurs vient de rendre publique ses travaux (en cours de reviewing dans le prestigieux journal Nature (bioRxiv, 29 juin 2020)).
- Sans surprise, l’immunité cellulaire est mise à contribution dans une large cohorte (N=203) de patients (asymptomatiques, convalescents, membres de familles exposés ou non, symptomatiques en phase aiguë, donneurs de sang en 2019 et 2020).
- Les auteurs ont mis en évidence des lymphocytes T présentant des phénotypes (CD38, PD-1, CD8) spécifiques du SARS-CoV-2 dans tous les groupes.
- En phase aiguë, ces lymphocytes ont plutôt une profil cytotoxique (combattent l’infection) pour se transformer en phase de convalescence en lymphocytes mémoires (schéma).
- La surprise vient du fait que pour les patients devenant séronégatifs, les marqueurs d’une immunité cellulaire sont présents et efficaces, même chez les patients asymptomatiques ou pauci-symptomatiques !
Deux messages importants :
- l’immunité cellulaire existe même chez les patients séronégatifs, élargissant un peu plus l’assiette de patients protégés,
- un éventuel vaccin semble une stratégie qui devrait marcher.
[Merci au Dr Axel Ellrodt]
CLINIQUE
Orage cytokinique et COVID-19 : mythe ou réalité ?
Actuellement une majorité de cliniciens est d’accord pour parler d‘une maladie en deux étapes, une première étape très virale, avec des manifestations due à l’invasion du virus (voies aériennes supérieures) puis progressivement une atteinte pulmonaire avec une diminution de la charge virale et, pour les formes graves, un emballement de la réaction inflammatoire qui serait responsable de la gravité de la maladie (environ 6e-9e jour).
Dans cette phase, la charge virale diminue et peut même devenir indétectable tandis que la maladie évolue vers un SDRA qui en fait toute la gravité. Cette phase a été rapidement surnommée «l’orage cytokinique» devant la montée des concentrations des marqueurs de l’inflammation : cytokines, TNFalpha, interférons, chimiokines. Cette appellation vient d‘être remise en cause dans un article publié dans le JAMA Internal Medicine (JAMA Internal Medicine, 30 juin 2020).
- Les auteurs ont comparé les profils de la réponse immunitaire de cohortes de patients avec SDRA «classique» et ceux issus d’un COVID-19 grave.
- Ils ont remarqué que les taux de l’IL6 (cytokine clé dans la réponse inflammatoire) étaient nettement inférieurs chez les patients COVID-19. Ces concentrations étaient ainsi de 10 à 200 fois plus élevées pour le SDRA «classique» par rapport à celles des patients COVID-19.
- Si on ajoute les résultats non convaincants des essais thérapeutiques utilisant les anti-IL-6, les auteurs remettent finalement en question cette théorie «d’orage cytokinique» qui viendrait détruire le poumon puis le patient.
- L’hypothèse des auteurs réside dans la sévérité de l’atteinte pulmonaire issue directement de l’agression virale (atteintes microvasculaires, destruction du parenchyme) plutôt qu’une agression inflammatoire.
- Les séries autoptiques vont plutôt dans ce sens.
- Les auteurs concluent enfin que ce terme a peut-être été trop vite employé et diffusé…
Syndrome inflammatoire multi-systémique chez les enfants
Plusieurs maladies inflammatoires ont été décrites chez les enfants au décours immédiat d’une COVID-19. Certaines ressemblaient à la maladie de KAWASAKI, d’autres à des myocardites ou des formes limites.
Des auteurs ont décrit une cohorte de 191 enfants de New York présentant des symptômes d’atteintes inflammatoires post-COVID-19 entre le 1er mars et 10 mai 2020 et entrant dans le cadre d’une nouvelle maladie appelée Syndrome Inflammatoire Multi-systémique (NEJM , 29 juin 2020).
- L’âge le plus représenté était les 6-12 ans (42%).
- Les signes cliniques les plus fréquents étaient la fièvre et les frissons (100%), la tachycardie (97%), un syndrome abdominal (80%). Un rash cutané était présent dans 60% des cas et une conjonctivite dans 56%.
- Les marqueurs biologiques principaux étaient une troponine et un taux de CRP élevés (100%).
- Une myocardite était présente dans 56% des cas.
- Une ventilation mécanique a été nécessaire pour 10 enfants.
- Le traitement spécifique était à base d’immunoglobuline injectée par voie IV (70%).
- Un support par vasopresseur a été nécessaire pour 62% des enfants.
- Il y eut deux décès (1%)
- Il semble donc qu’une atteinte inflammatoire retardée n’entrant pas dans le cadre d’une maladie bien identifiée doit être prise au sérieux.
Mortalité en réanimation
Un débat initié par la région du Sud de la France a permis de poser la question de la mortalité en réanimation des patients admis pour COVID-19 grave. Cela tombe bien car une méta-analyse vient d’être publiée dans Anaesthesia (Anaesthesia , 23 juin 2020).
- À partir des résultats de 24 études observationnelles rassemblant 10.150 patients, les auteurs ont calculé la mortalité moyenne des patients admis en réanimation dans le monde entier.
- Ils ont trouvé une mortalité moyenne de 41,6% IC95%[34,0-49,7%].
- Cette mortalité a significativement régressé pendant l’évolution de la pandémie passant de plus de 50% vers 40% actuellement.
- Il n’y a pas de différence significative entre l’Europe, l’Asie et l’Amérique du Nord.
- La mortalité moyenne associée à l’Europe était de 48,4% IC95%[37,0- 60,1%] avec 8.826 patients.
[Merci au Dr Axel Ellrodt]
TRAITEMENTS
Hydroxychloroquine encore et toujours !
On continue la saga hydroxychloroquine !
Un travail observationnel, comparatif rétrospectif et multicentrique américains (6 hôpitaux) a comparé quatre groupes de patients : hydroxychloroquine (N=1.202), hydroxychloroquine et azithromycine (N=783), azithromycine seule (N=137), pas de traitement (N=409) chez des patients COVID-19+ hospitalisés (International Journal of Infectious Diseases, 3 juillet 2020).
- Le critère de jugement principal était la mortalité hospitalière toute cause (observée à 18%). Comme les groupes n’étaient pas comparables, les auteurs ont utilisé un score de propension pour tenter d’apparier les groupes.
- Les auteurs trouvèrent que la mortalité était significativement diminuée dans les groupes hydroxychloroquine seule (13,5%), hydroxychloroquine associée à l’azithromycine (20,1%) et azithromycine seule (22,4%) comparée au groupe sans traitement (26,4%).
- Étude rétrospective, observationnelle, avec des groupes non comparables et donc associée à un faible niveau de preuve.
- Curieusement, c’est le groupe hydroxychloroquine seule qui est associé à la plus faible mortalité.
- J’avoue ne pas comprendre pourquoi les essais prospectifs et randomisés RECOVERY et DISCOVERY ne publient pas leurs résultats concernant le bras hydroxychloroquine puisqu’ils ont annoncé la fin des inclusions dans ces bras : on y verrait plus clair !
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