Covid-19 : la newsletter du Pr Adnet (N°8 - 30 juin)
Une 8e newsletter où les traitements sont à l'honneur : l'azithromycine (associée à une surmortalité), la colchicine (une approche prometteuse), la dexaméthasone (intéressante pour les patients les plus graves) et l'hydroxychloroquine (étude dont la neutralité est discutée). Sans oublier une méta-analyse sur l'efficacité des masques et de la distanciation physique, et un point sur les patients asymptomatiques.
Depuis le 12 mars, le Pr Frédéric Adnet - professeur agrégé de Médecine d'Urgence, chef des Urgences de l’Hôpital Avicenne et du SAMU 93 - fait régulièrement le point sur le Covid-19.
Après 46 numéros d'une FAQ quotidienne, il propose désormais une newsletter hebdomadaire. Nous la reproduisons ici avec son aimable autorisation.
INDEX et liste des FAQ / Newsletters
NEWSLETTER N°8 (30 juin)
ÉPIDÉMIOLOGIE
Évaluation de l’efficacité des masques et de la distanciation physique
Le Lancet publie dans son dernier numéro une méta-analyse doublée d’une revue systématique des recherches ayant porté sur l’efficacité des masques et la distanciation physique pour le risque de contamination (Lancet, 27 juin 2020). Les auteurs ont sélectionné 172 recherches observationnelles (revues systématiques) dont 44 essais comparatifs (méta-analyse) incluant en tout 25.697 patients.
- La distanciation physique est efficace à partir de 1 mètre (OR ajusté=0,18 ; CI95%[0,09-0,38]).
- Cette efficacité s’accroit d’un facteur 2 lorsque la distance augmente d’un mètre supplémentaire.
- Les masques sont aussi très efficaces avec un risque diminué de 85% (OR ajusté=0,15 ; CI95%[0,07-0,34]), les FFP2 étant les plus efficaces.
CLINIQUE
Profil des patients asymptomatiques
Les patients asymptomatiques nourrissent bien des fantasmes : combien sont-ils, transmettent-t-ils le virus ? En fait il convient de distinguer les patients pré-symptomatiques qui développeront des signes après une phase asymptomatique et les patients qui sont infectés par le SARS-CoV-2, et qui ne présenteront aucun signe.
Des auteurs chinois se sont intéressés à cette dernière catégorie en suivant une cohorte de 37 patients de la région de Wanzhou, qu’ils ont comparé à une cohorte de 37 patients symptomatiques (Nature Medicine, 18 juin 2020).
- Les patients asymptomatiques représentaient 21% des patients hospitalisés pour COVID-19.
- Ils avaient une charge virale détectable pendant une médiane de 19 [15-26] jours, significativement plus longue par rapport aux patients symptomatiques (médiane 14 [9-22] jours).
- La réponse immunitaire (taux d’IgG) était plus faible chez les patients asymptomatiques comparés aux patients symptomatiques.
- Les patients asymptomatiques devenaient séronégatifs avec une fréquence plus élevée (40% vs 13%) et plus rapidement que les patients avec symptômes dans les 8 semaines de suivi.
- La réponse inflammatoire (mesurée par le dosage de cytokine) était moins intense dans le groupe des asymptomatiques.
[Merci au Dr Sébastien Beroud]
TRAITEMENTS
Morbidité associée à l’azithromycine
Une enquête rétrospective portant sur 7.824.681 traitements par antibiotiques s’est attachée à comparer les effets indésirables de l’amoxicilline (N=6.087.705) et l’azithromycine (N=1.736.976). La comparaison s’est faite après un appariement en utilisant un score de propension sur l’âge (JAMA Network, 17 juin 2020).
- Les résultats ont montré une surmortalité toutes causes confondues (cardiovasculaire et non cardiovasculaire) associée à l’azithromycine dans les 5 jours après l’exposition (HR, 2,00 ; CI95%[1,51-2,63]).
- Ce risque n’était pas retrouvé entre 6 et 10 jours après l’exposition au médicament.
- Attention, cette enquête établit un lien d’association mais pas de lien de causalité !
Colchicine
On sait qu’une approche thérapeutique du COVID-19 qui pourrait être efficace est l’approche anti-inflammatoire. Dans cette optique, des auteurs rapportent les résultats d’un essai thérapeutique bien conduit (randomisé, prospectif et ouvert) qui a testé la colchicine (2 mg le premier jour puis 1 mg/j pendant 3 semaines) sur les marqueurs inflammatoires et cardiaques. On sait qu’il y a un taux important de péricardite chez des patients hospitalisés COVID-19+.
- Le critère principal de cette étude (JAMA network, 24 juin 2020) était :
- la troponine,
- le délai pour que la CRP atteigne une valeur de trois fois la normale,
- et le délai pour observer une détérioration clinique de plus de deux points d’un score de 7 points variant de 1 (retour à domicile) à 7 (décès).
- 105 patients ont été inclus, 50 dans le groupe colchicine et 55 dans le groupe contrôle.
- Les résultats n'ont montré aucune différence pour les niveaux de CRP ou de troponine, par contre le délai de détérioration clinique était significativement augmenté dans le groupe colchicine. Cette détérioration survenait chez un patient (1,8%) dans le groupe colchicine vs 7 patients (14,0%) dans le groupe contrôle.
- Il y eut 4 décès (7,2%) dans le groupe contrôle et un (2%) dans le groupe colchicine.
- Il y eu plus d’effets indésirables (diarrhées) dans le groupe colchicine.
Résultats pas très convaincants, le critère principal d’évaluation est peu pertinent mais l’approche semble prometteuse.
Hydroxychloroquine : saison 08, épisode 45
Alors que les deux grands essais cliniques européens (RECOVERY et DISCOVERY) ont décidé de ne plus inclure de patients dans les bras comportant l’hydroxychloroquine par manque d’efficacité (résultats non encore publiés), l’équipe du Pr Didier Raoult vient de publier une nouvelle étude observationnelle rétrospective (Travel Medicine and Infectious Disease, 17 juin 2020).
- Dans cette étude, les auteurs comparent un groupe de patients bénéficiant d’un traitement par l’hydroxychloroquine associé à l’azithromycine pendant plus de trois jours (N=3.119) à un autre groupe hétérogène (N=618) ayant reçu ce traitement depuis moins de trois jours ou n’ayant pas été inclus dans l’autre groupe (refus, contre-indication etc.). Un ajustement a été pratiqué par régression logistique et score de propension.
- Les auteurs ont observé une mortalité moins importante (HR = 0,18 ; IC95%[0,11-0,27]), une diminution du risque d’hospitalisation longue (HR=0,28 ; IC95%[0,27-0,54]) et un portage viral moins long (HR=1,29 ; IC95%[1,17-1,42]) dans le groupe traité.
- La mortalité globale du groupe traité était de 0,5%, identique à la mortalité spontanée du COVID-19 de la population générale affectée par cette maladie.
- Encore une étude à très faible niveau de preuve, groupe «contrôle» non comparable, absence de randomisation.
- Enfin, travail issu d’une équipe très «partie prenante» et publié dans un journal où un éditeur figure parmi les auteurs.
Vivement les résultats d’études «neutres» avec une bonne méthodologie !
Dexaméthasone
L’étude dont tout le monde parle !
Publiée en preprint, ces résultats préliminaires concernent le bras dexaméthasone de l’étude RECOVERY. Cette étude anglaise (176 hôpitaux en Angleterre) est randomisée, prospective, adaptative (c’est à dire qu’on peut ajouter de nouveaux bras, ou enlever ou figer des résultats partiels) et ouverte (medRxiv, 22 juin 2020, non encore reviewée).
Ici encore, l’axe testé comporte un médicament anti-inflammatoire qui va s’opposer à l’orage cytokinique dû à l’emballement de la réaction inflammatoire observée dans les formes graves du COVID-19.
- Le bras expérimental comportait l’administration de dexaméthasone (corticoïde) à 6 mg/j pendant 10 jours.
- Le critère de jugement principal était la mortalité à 28 jours (enfin un vrai critère fort !).
- Les patients inclus étaient hospitalisés pour COVID-19.
- Les résultats publiés concernaient 2.104 patients COVID-19+ hospitalisés et 4.321 contrôles.
- La mortalité globale était significativement plus faible dans le groupe expérimental (21,6% vs. 24,6%).
- Le bénéfice était plus prononcé chez les patients nécessitant une oxygénothérapie (21,5% vs. 25,0%) et ceux qui étaient sous ventilation mécanique (29,0% vs. 40,7%).
- Un décès pourrait ainsi être évité pour 8 patients requérant une ventilation mécanique ou 25 patients nécessitant une simple oxygénothérapie.
- Étude à haut niveau de preuve, même si l’utilisation empirique de corticoïdes est courante chez les patients graves en réanimation, mais cette fois-ci la démonstration est faite !
- Ce n’est pas non plus le médicament miracle puisque la mortalité globale n’a baissé que de 3%.
Donc… Un choix thérapeutique à réserver aux patients les plus graves.
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