Covid-19 : la newsletter du Pr Adnet (N°6 - 16 juin)
Cette semaine, au programme... Deux études avec modélisation (efficacité du confinement et du masque), les appels au Samu pour prédire l'arrivée d'une nouvelle vague, l'évolution de la consommation de médicaments non-Covid pendant l'épidémie, le remdesivir qui reste en lice, une série d'autopsies pour préciser le atteintes neurologiques et l'allaitement maternel à privilégier même chez les mères Covid+.
Depuis le 12 mars, le Pr Frédéric Adnet - professeur agrégé de Médecine d'Urgence, chef des Urgences de l’Hôpital Avicenne et du SAMU 93 - fait régulièrement le point sur le Covid-19.
Après 46 numéros d'une FAQ quotidienne, il propose désormais une newsletter hebdomadaire. Nous la reproduisons ici avec son aimable autorisation.
INDEX et liste des FAQ / Newsletters
NEWSLETTER N°6 (16 juin)
ÉPIDÉMIOLOGIE
Modélisation de l’impact des mesures non pharmacologiques
Dans un article sous presse, qui sera publié dans la prestigieuse revue Nature, des mathématiciens ont modélisé et simulé l’impact des mesures humaines (confinement, fermeture des écoles, isolement des cas positifs, interdiction des rassemblements, distanciation et port du masque) dans l’évolution de la pandémie en Europe (Nature, 8 juin 2020). Ils ont utilisé les données de 11 pays.
- Les résultats ont montré qu’entre 12 et 15 millions de personnes ont été infectées (3,2% à 4% de la population européenne ; 3,4 % pour la France).
- Les chercheurs ont démontré l’efficacité de ces mesures qui a fait passer le R0 (nombre moyen de personnes qu’un malade infecte) de 3,8 à un intervalle compris entre 0,44 (Norvège) à 0,82 (Belgique).
- En étudiant le nombre de décès, les chercheurs ont trouvé que ces mesures non pharmacologiques ont permis de sauver 3,1 millions de vies pour ces 11 pays.
[Merci au Dr Axel Ellrodt]
Modélisation de l’efficacité du port du masque par la population
Un autre travail de mathématiciens...
(pour plus de détails sur cette étude : Qu'importe le masque, pourvu qu'on en porte un... pour protéger les autres)
- Cette fois ci, les chercheurs se sont intéressés au port du masque par la population générale (Proceedings of the Royal Society A, 10 juin 2020).
- Ils ont trouvé que cette mesure était extrêmement efficace pour faire baisser le R0 en dessous de 1 (ce qui signifie la régression de l’épidémie) même sans mesures de confinement.
- Les deux paramètres importants étaient la qualité du masque (ou son efficacité) et le pourcentage de la population qui le porte.
- Un effet significatif est prédit même si le port du masque ne concerne que 50% de la population.
- Les auteurs encouragent donc le port du masque dans tous les lieux publics, et ce sans mesure de confinement, ce qui pourrait être une solution pour redémarrer les économies de pays concernés.
[Merci au Dr Joselyn Gravel]
Les appels au Samu comme prédicteur de la saturation hospitalière
Un travail intéressant effectué par une équipe de la Seine-Saint-Denis (European Journal of Emergency Medicine, 8 juin 2020).
- En étudiant les appels arrivant aux Samu et le nombre de dossiers de régulation, les auteurs ont défini arbitrairement un niveau d’alerte qui se situe - pour une sollicitation du Samu (nombre de dossiers de régulation, ambulances envoyées, transferts aux urgences) - à un niveau supérieur à 20% de l’activité moyenne des 5 dernières années.
- Pendant l’épidémie du COVID, ces seuils ont été franchis respectivement à 31, 11 et 10 jours avant la date de saturation du système hospitalier pour les patients COVID-19+ hospitalisés en réanimation (27 mars 2020).
- Ces indicateurs sont extrêmement précieux car ils semblent prédire la vague de patients à hospitaliser, ce qui permettrait aux hôpitaux de s’organiser.
Évolution du nombre de dossiers de régulation médicale (rouge). Moyenne des 5 dernières années (bleu). Le fanion rouge (25 février 2020) représente le seuil d’alerte situé à une augmentation de 20% de la moyenne des 5 dernières années. Ce fanion est situé 31 jours avant la
saturation des hôpitaux par les patients malades du COVID-19 (27 mars 2020).
CLINIQUE
Atteinte neurologique
L’aspect inflammatoire et thrombogène du COVID-19 faisait suspecter des atteintes neurologiques centrales de type encéphalites, AVC ischémiques ou thrombophlébites. Une série d’autopsies de 18 patients décédés du COVID-19 grave a été publiée dans le New England Journal of Medicine (NEJM, 12 juin 2020).
- Aucun examen ne révélait une atteinte de type AVC ou encéphalite.
- Par contre, tous les cerveaux présentaient des lésions typiques d’hypoxie cellulaire dans le cortex cérébral, l’hippocampe et d‘autres régions.
- Pas de thrombi ni de lésions en faveur d’une vascularite.
- Une faible charge virale a été détectée dans le cerveau de 5 patients.
- En conclusion, l’atteinte cérébrale des patients décédés du COVID-19 s’apparente beaucoup plus à des lésions en rapport avec l’hypoxie qu’à des lésions spécifiques (inflammatoires ou thrombogènes) de la maladie.
Allaitement et COVID-19
L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) vient d’émettre une recommandation pour la problématique de l’allaitement de maman COVID-19+.
- Certains travaux ont en effet mis en évidence de l’ARN SARS-CoV-2 dans le lait maternel (Health News, 12 juin 2020).
- Jusqu’à présent il n’a pas été mis en évidence de virus viable et vivant dans le lait maternel et la recommandation de l’OMS est de privilégier l’allaitement maternel même en présence d’une suspicion de COVID-19 chez la mère.
- Il faut bien sûr que la maman porte un masque chirurgical.
TRAITEMENTS
Remdesivir
Le médicament actuellement le plus prometteur est le remdesivir avec des résultats d’études cliniques encourageants. Le résultat le plus spectaculaire qui a été mis en évidence consiste en une amélioration plus rapide chez les patients COVID-19+ associée à une pneumopathie. Cependant, on n’a pas trouvé d’effets significatifs sur la mortalité. Nature publie les résultats d’une expérimentation sur le macaque qui est le modèle animal de référence pour l’infection au SARS-CoV-2 , notamment parce qu’il développe la pneumopathie virale (Nature, 9 juin 2020). Le remdesivir est une molécule antivirale développée pour le virus Ebola.
- Les résultats de cette expérimentation ont démontré que les animaux traités par remdesivir (10 mg/kg 12 heures après l’inoculation du SARS-CoV-2) développaient une pneumopathie moins sévère et peu de signes cliniques d’infection respiratoire comparés aux singes traités par placebo.
- La concentration virale (virus vivant) devenait extrêmement réduite (100 fois moins) dans le lavage broncho-alvéolaire seulement 12 heures après l’administration du médicament.
- La charge virale (PCR) était diminuée dans le lavage broncho-alvéolaire des animaux traités.
- Par contre il n’y avait pas de modification de la charge virale des prélèvements des voies aériennes supérieures.
- Les résultats des autopsies révélèrent une pneumopathie moins sévère chez les animaux traités.
Non-Covid : usage des médicaments pendant l’épidémie
Un rapport très intéressant a été publié concernant les évolutions de la consommation de médicaments en France pendant l’épidémie et en particulier pendant le confinement (EPI-PHARE, 9 juin 2020). L’étude a porté sur 725 millions d’ordonnances, soit 1,9 milliard de lignes de prescriptions et a concerné 51,6 millions de personnes du régime général suivies durant 60 semaines de remboursement.
- On savait que la consommation des médicaments courants comme les vaccins était en très forte baisse (sauf pour l’hydroxychloroquine et l’azithromycine !) pendant l’épidémie.
- Les auteurs ont constaté une forte baisse de traitements pour de nouveaux patients pendant le confinement (-39% pour les antihypertenseurs, -48,5% pour les antidiabétiques et -49% pour les statines).
- Ces baisses correspondaient à plus de 100.000 patients hypertendus, 37.500 diabétiques et 70.000 personnes relevant d’un traitement par statines.
- Cette nouvelle étude a confirmé une très forte diminution de la délivrance de certains produits, notamment les vaccins, sans qu’il y ait de début de rattrapage.
- Les examens non pratiqués de coloscopies (-180.000), IRM (- 202.366), scanner (-375.000) - indispensables pour diagnostiquer certains cancers ou maladies graves en poussée - pourraient entraîner des retards de prise en charge et donc une morbidité/mortalité supplémentaire.
- L’hydroxychloroquine, en dehors de ses indications classiques comme dans le lupus et la polyarthrite rhumatoïde, n’était pratiquement plus prescrite ni remboursée en ville durant les trois dernières semaines de confinement et durant la première semaine de post-confinement.
- L’effondrement de l’utilisation de l’antibiothérapie restait spectaculaire et constant chez les enfants (- 765.000 traitements antibiotiques durant le confinement chez les 0-19 ans par rapport à l’attendu). Il est en lien possible avec l’arrêt de la circulation de tous les virus (hors SARS-CoV-2) et autres agents infectieux consécutif à la fermeture des crèches et écoles.
- Parmi les classes thérapeutiques dont l’utilisation a augmenté en fin de confinement et lors de la première semaine de post-confinement, il faut souligner les hypnotiques (+6,9% en post confinement par rapport à l’attendu) et à un degré moindre les anxiolytiques (+1,2% en post-confinement). Les antidépresseurs n’étaient toutefois pas concernés par cette hausse à l’issue immédiate de la période de confinement.
Évolution comparée de la délivrance d’ibuprofène entre 2018 (vert), 2019 (orange) et 2020 (rouge continu).
La baisse constatée fait probablement suite aux recommandations de ne pas prescrire d’AINS en cas de suspicion de COVID-19.
[Merci au Dr Alain Weill]
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