Covid-19 : la newsletter du Pr Adnet (N°38 - 02 février)

Manaus, Brésil. Dans ce «laboratoire» de l'immunité collective, l'épidémie flambe. Vaccin : une seule dose semble suffire pour les personnes déjà contaminées. Bonne nouvelle, les vaccins semblent efficaces contre les variants. Mauvaise nouvelle, des souches virales créées en laboratoire qui imitent ces variants semblent très résistantes. Colchicine : une étude interrompue, des effets modestes... Bamlanivimab, plus ou moins etesevimab : à suivre. Hydroxychloroquine : zéro preuve d'efficacité, trois fois plus d'effets indésirables graves liés en 2020...


Frédéric Adnet est professeur agrégé de Médecine d'Urgence et chef des Urgences de l’Hôpital Avicenne et du SAMU 93. À la fois chercheur et médecin, il fait régulièrement le point sur la Covid-19. Après 46 numéros d'une Foire Aux Questions (FAQ) quotidienne, il publie désormais une newsletter hebdomadaire. Nous la reproduisons ici avec son aimable autorisation. 

Sa FAQ a connu un succès phénoménal. À l'origine destinée aux professionnels de son service, elle est maintenant traduite en plusieurs langues. Dans son interview, Frédéric Adnet revient sur ce succès et explique son attachement à l'Evidence-based medicine. 

Frédéric Adnet est également l'auteur de l'ouvrage Les Fantassins de la République - Urgence COVID, un printemps en enfer, paru en octobre 2020.


INDEX et liste des FAQ / Newsletters


NEWSLETTER N°38 ( 02 février 2021)


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ÉPIDÉMIOLOGIE


L’immunité collective mise à mal à Manaus

Manaus est cette ville au Brésil pour laquelle avait été mis en évidence, en octobre 2020, une immunité collective absolument phénoménale évaluée entre 67% et 98% suite à des simulations à partir de la prévalence des anticorps anti-SARS-CoV-2 détectés chez les donneurs sanguins. Ce constat en faisait un véritable laboratoire sur l’efficacité d’une immunité collective dirigée contre la Covid-19. 

Eh bien, patatras ! Le Lancet nous informe que, malheureusement, l’épidémie flambe dans cette ville depuis janvier 2021. Cette flambée a été mise en évidence par une augmentation spectaculaire du nombre d’hospitalisations et de décès en lien avec la Covid-19 (Lancet, 27 janvier 2021).

Plusieurs explications (hypothèses) ont été fournies par les auteurs :

  1. L’immunisation collective a été surestimée, mais cela n’est franchement pas plausible et ce d’autant que les donneurs de sang étaient exclus s’ils avaient des symptômes de la Covid-19. Même en prenant la valeur basse de l’estimation, l’immunité collective était déjà importante (plus de 50%).
  2. Il existe une baisse rapide de l’immunité acquise. La deuxième vague survient huit mois après la première et on considère actuellement que l’immunité acquise est efficace au moins six mois. Bon…
  3. L’existence de variants qui pourraient réinfecter la population immunisée contre l’ancienne souche : le variant anglais (B.1.1.7) et surtout le variant brésilien P.1 (cf. newsletters n°33 et n°37) qui possède la mutation E484K – qui conférerait au virus une résistance accrue aux anticorps.
  4. Les virus de la deuxième vague sont plus transmissibles que pour la première. Cette hypothèse est supportée par la présence de la mutation N501Y chez les deux variants (brésilien et anglais) dont nous avons vu qu’elle était associée à une plus grande transmissibilité (cf. newsletter n°33).

Bon, tout ceci n’est pas rassurant, mais la population de Manaus n’était pas vaccinée, espérons que l’immunité des vaccins nous protégera mieux que l’immunité acquise !
 


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Schéma : évolution du nombre d’hospitalisations (trait rouge) due à la Covid-19 et du nombre de décès (trait bleu) à Manaus (Brésil). Malgré une immunité collective importante, on constate une flambée de l’épidémie en Janvier 2021.

 


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VACCINS


Vacciner les séropositifs : une seule dose suffit ?

On a remarqué (expérience personnelle) que la vaccination des patients ayant déjà eu la Covid-19 (elle est recommandée au-delà de trois mois) entraînait souvent une réaction forte avec plein d’effets secondaires : douleur, myalgies, fièvre, diarrhée, etc… Ceci serait probablement dû à une stimulation importante du système immunitaire qui a déjà été sensibilisé à la Covid-19. 

Eh bien, cette impression a été confirmée expérimentalement ! En comparant des patients convalescents de la Covid-19 (N=41) vaccinés avec une dose avec des patients «sains» (N=68) vaccinés avec deux doses, des auteurs ont mis en évidence que la réaction immunitaire après la vaccination de patients convalescents entraînait une réponse en termes d’anticorps beaucoup plus importante que la première dose de patients sans antécédent de Covid-19 (medRxiv, non encore reviewé, 1er février 2021). 

Le taux d’anticorps après une première dose des patients convalescents était comparable aux patients «sains» après deux doses. De plus, les réactions systémiques (fièvre, frissons, céphalée, asthénie) étaient beaucoup plus importantes chez les patients séropositifs. Les auteurs suggèrent logiquement de ne vacciner les patients séropositifs qu’avec une dose. 

[Merci au Dr. Axel Ellrodt]


Enfin de bonnes nouvelles !

On aimerait quand même savoir si les vaccins sont efficaces contre ces maudits variants qui nous empoisonnent la vie ! En particulier, les mutations 69-70del (délétion de trois acides aminés) et la mutation E484K (substitution d’un acide aminé par un autre) sont plutôt problématiques car associées à une résistance aux anticorps (cf. newsletter n°33). 

On a ainsi vu que les nouvelles étaient plutôt mitigées lorsque l’on teste le sérum de patients infectés avec les nouveaux variants (cf. newsletters n°33). Mais qu’en est-il pour les sérums de patients vaccinés ? C’est ce qu’on voulu savoir une équipe de chercheurs en testant le sérum de 20 patients vaccinés par le vaccin à ARNm BNT162b2 (Pfizer®-BioNTech®) sur trois souches de virus muté (synthétisées en laboratoire). Elles contenaient les mutations du variant anglais (N501Y + 69-70del + D614G) et sud-africain (E484K + N501Y + D614G) ainsi qu’un troisième «mutant» avec la mutation N501Y qui est commune au variant anglais et sud-africain (bioRxiv, non encore reviewé, 27 janvier 2021). 

Lorsque l’on expose le sérum des patients vaccinés à ces trois souches mutées du virus SARS-CoV-2, leurs neutralisations ne sont pas très perturbées, allant de 81% à 146% par rapport au virus non muté. Ces résultats indiquent que le vaccin serait efficace contre ces virus mutés contenant les mutations du virus sud-africain et anglais (B.1.1.7).


De moins bonnes nouvelles…

Une autre étude moins optimiste que la précédente a été publiée récemment en preprint. Alors que l’on avait été assez rassuré par les premiers tests en laboratoire (cf. newsletter n°35), d’autres études sont plus pessimistes. En effet, des chercheurs ont testé un anticorps monoclonal (mAb), du sérum de patients contaminés (N=20) et du sérum de patients vaccinés (N=12) avec les vaccins Pfizer®-BioNTech® et Moderna®. 

Ces essais de neutralisation ont été conduits sur deux souches virales créées en laboratoire (bioRxiv non encore reviewé, 26 janvier 2021 :

Les résultats sont mauvais :

C’est embêtant car l’anticorps mAb est commercialisé sous le nom de bamlanivimab et a été autorisé comme traitement en urgence de la Covid-19. Une autre étude publiée dans Science trouve une légère diminution de la neutralisation du variant anglais par le sérum de patients vaccinés avec le vaccin Pfizer®-BioNTech® (Science, 29 janvier 2021).

Au total, l’ensemble de ces résultats pose clairement la question de l’adaptation des vaccins aux nouveaux (futurs ?) variants. 

[Merci au Dr. Axel Ellrodt]


 



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TRAITEMENTS


Colchicine, on sait tout !

On avait lu le communiqué de presse annonçant des résultats pratiquement spectaculaires de la colchicine dans l’essai COLCORONA (cf. newsletter n°37). L’essai a été publié en preprint et sa lecture est finalement un peu décevante (medRxiv non encore reviewé, 27 janvier 2021)… 

La colchicine est un médicament anti-inflammatoire qui pourrait avoir une utilité pour combattre l’emballement inflammatoire de la Covid-19 (le fameux et controversé «orage cytokinique»). Pour rappel, il s’agissait de tester la colchicine dans une population de 6.000 patients Covid-19+ (PCR positive ou symptomatologie clinique évocatrice) non hospitalisés. 

Qu’en penser ? Globalement on reste sur sa faim…
La méthodologie est solide et associée à un haut niveau de preuve. Mais c’est une étude interrompue prématurément et négative sur le critère principal (pas de différence). 

L’analyse en sous-groupes n’est jamais conclusive et l’effet observé est modeste (réduction de 1,4% soit une différence de 30 patients (25% de diminution relative) pour les 4.159 patients analysés pour le critère principal. Comme c’est souvent le cas pour une analyse positive pour un sous-groupe, la seule conclusion est de nature exploratoire par la nécessité de réaliser une nouvelle étude en incluant seulement les patients PCR+, mais cela en vaut-il la peine ?

[Merci au Pr Bruno Riou]


Bamlanivimab plus ou moins etesevimab : bof, bof !

Un nouvel essai clinique évaluant des anticorps monoclonaux bamlanivimab (LY- CoV555) et etesevimab dirigés contre la protéine S du SARS-CoV-2 a été publié. Ces anticorps sont censés neutraliser le virus par analogie avec les défenses immunitaires naturelles. Nous avions vu les résultats décevants du bamlanivimab (cf. newsletter n°34) malgré une annonce encourageante (cf. newsletter n°22). 

Bon, c’est une étude avec une méthodologie irréprochable mais avec un critère d’évaluation qui n’a pas grand intérêt en pratique. Il sera peut-être intéressant de construire un essai avec l’association des deux médicaments et évaluer sa pertinence pour empêcher les formes graves de la maladie, c’est-à-dire prendre comme critère l’intubation ou le décès. 

À suivre !


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Schéma : évolution de la charge virale dans les différents groupes. On constate juste une différence significative entre le placebo (trait rouge) et le groupe avec l’association du bamlanivimab et de l’etesevimab (trait bleu). Bon ce n’est pas évident lorsque l’on regarde les courbes !


La mode de l’hydroxychloroquine a fait des ravages !

Souvenez-vous ! L’hydroxychloroquine (HCQ) n’a jamais fait la preuve de son efficacité dans le traitement de la Covid-19, aussi bien dans les modèles expérimentaux, les modèles animaux et les essais cliniques à haut niveau de preuve (cf. une bonne vingtaine de newsletters !). 

Malgré cette accumulation de données, la population mondiale se gave de ce médicament et s’expose ainsi à des effets indésirables. Une enquête internationale menée par des chercheurs grenoblois à partir des données de la très sérieuse Food and Drug Administration a mis en évidence une cascade incontrôlée d’effets indésirables liée à la consommation de chloroquine et d‘hydroxychloroquine (Annals of Internal Medicine, 26 janvier 2021). 

Le retrait de l’autorisation de l’hydroxychloroquine et l’accumulation de résultats négatifs dans la littérature scientifique n’a absolument pas influencé la courbe ascendante des effets indésirables. 

Désespérant !



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