Covid-19 : la newsletter du Pr Adnet (N°36 - 19 janvier)
Dubaï - Kuala Lumpur - Nouvelle-Zélande... 18 h de vol, sept passagers infectés dont cinq négatifs au départ. L'avion, c'est dangereux ! La Covid-19, troisième cause de mortalité aux USA. Réinfection : quel est le risque ? Apparition d'un quatrième vaccin, prêt pour la phase 3. Immunité cellulaire chez les séronégatifs : merci aux lymphocytes T ! Sérothérapie : quels résultats si l'on tient compte de l'hétérogénéité de la concentration des anticorps ?
Frédéric Adnet est professeur agrégé de Médecine d'Urgence et chef des Urgences de l’Hôpital Avicenne et du SAMU 93. À la fois chercheur et médecin, il fait régulièrement le point sur la Covid-19. Après 46 numéros d'une FAQ quotidienne, il publie désormais une newsletter hebdomadaire. Nous la reproduisons ici avec son aimable autorisation.
Sa FAQ a connu un succès phénoménal. À l'origine destinée aux professionnels de son service, elle est maintenant traduite en plusieurs langues. Dans son interview, le Frédéric Adnet revient sur ce succès et explique son attachement à l'Evidence-based medicine.
Frédéric Adnet est également l'auteur de l'ouvrage Les Fantassins de la République - Urgence COVID, un printemps en enfer, paru en octobre 2020.
INDEX et liste des FAQ / Newsletters
NEWSLETTER N°36 ( 19 janvier 2021)
ÉPIDÉMIOLOGIE
L’avion, c’est dangereux !
Prendre l’avion, est-ce dangereux pour ce qui est d’attraper la Covid-19 ? Nous avions vu un article plutôt rassurant sur le renouvellement de l’air d’un avion de ligne qui protègerait les passagers d’une contamination par aérosol (cf.newsletter n°23). Nous savons aussi que l’on entasse les passagers (avec mesures barrières) dans ces moyens de transport en commun.
Et bien, patatras ! Un article du Centers for Disease Control and Prevention (CDC) vient tout gâcher (Emerging Infectious Diseases, sous presse) ! Les auteurs se sont intéressés aux passagers à destination de la Nouvelle-Zélande, pays où une mesure de quarantaine était systématiquement imposée en plus d’un dépistage par PCR.
- Parmi les 62.698 passagers, il y eut 215 infections détectées.
- Plus particulièrement un groupe de sept passagers d’un même vol en provenance de Dubaï (Boeing 777-300ER - 18 heures 02 minutes de vol avec escale à Kuala Lumpur).
- Ces passagers provenaient de régions différentes et cinq avaient un test négatif au moment du départ.
- Les sept virus SARS-CoV-2 mis en évidence étaient génétiquement identiques (à part un avec une seule mutation).
- Les passagers étaient éloignés au maximum de quatre rangées de sièges et portaient masques et gants. Pas rassurant !
[Merci au Dr Axel Ellrodt]
Schéma : disposition des 7 passagers testés développant la Covid-19 pendant la quarantaine au cours du vol Dubaï-Auckland (vol EK448) notés de A à G. Les passagers index sont probablement les passagers A et/ou B compte tenu de la cinétique d’apparition des symptômes ((source : CDC / Emerging Infectious Diseases).
Troisième cause de mortalité aux États-Unis !
Les américains adorent donner des images fortes des ravages de l’épidémie de la Covid-19. On les connaît comme étant tristement les champions du monde de la mortalité de la Covid-19 avec plus de 3.000 décès par jour et près de 400.000 morts au total. Dans un article du Journal of the American Medical Association des auteurs font les comptes (JAMA, 17 décembre 2021).
- La mortalité quotidienne liée à la Covid-19 aux USA représente l’équivalent de l’attentat des Twin Towers (2.988 morts) tous les 1,5 jours, ou le crash de 15 airbus A-320 chaque jour.
- En comparant les mortalités par classe d’âge, la Covid-19 apparaît être la troisième cause de mortalité pour les américains entre 45 et 84 ans et la deuxième cause pour les classes d’âge au-dessus de 84 ans.
- Pour les plus de 45 ans, la mortalité liée à la Covid-19 est supérieure à la mortalité des maladies pulmonaires chroniques (BPCO), des accidents de la route, des overdoses, suicides ou homicides.
Schéma : nombre de morts par millions d’habitants aux États-Unis en fonction de l’âge et des causes. La Covid-19 apparaît une cause majeure de mortalité pour les plus de 55 ans.
RECHERCHE
Réinfection : quel est le risque ?
Une de nos hantises est la possibilité de réinfection par la Covid-19. De tels évènements sont plutôt rares. Surtout, lorsque le séquençage a été fait, bien souvent c’est un nouveau variant qui a été mis en évidence (cf. newsletters n°17 et n°24) plutôt qu’une baisse de l’immunité. Nous avons vu dans un autre travail anglais que ce risque était de l’ordre de 0,1% (cf.newsletter n°34).
L’analyse intermédiaire d’une grande étude anglaise multicentrique (SIREN) de suivi nous fournit des informations sur la probabilité de faire des réinfections au SARS-CoV-2 (Public Health England, non encore reviewé, 13 janvier 2021).
- Il s’agit du suivi sur cinq mois (en moyenne) de 20.787 soignants, dans 102 hôpitaux.
- Une sérologie et un test PCR étaient systématiquement effectués toutes les deux à quatre semaines.
- Parmi les 6.614 soignants initialement séropositifs, seuls 44 (0,6%) ont été classés comme réinfections «possibles» (avec 2 PCR nouvellement positives chez des soignants séropositifs).
- L’enquête sur ces 44 suspicions de réinfections a permis d’isoler deux soignants pour lesquels la réinfection était qualifiée comme «probable».
- Il y eut 318 (2,2%) PCR positives dans le suivi des 14.173 soignants initialement séronégatifs.
- L’odds ratio ajusté était de 0,17 (IC95%[0,13-0,24]) pour les réinfections dans cette cohorte - comparée aux nouvelles infections - ce qui correspondait à une protection du risque de réinfection de 83% lorsque l’on est initialement séropositif.
- Les réinfections survenaient avec une médiane de 160 jours après la première infection.
- Il y avait beaucoup plus de formes asymptomatiques parmi les réinfections, comparées aux infections de la cohorte séronégative (79% vs. 34%).
- Ce travail a été effectué avant l’apparition du variant «anglais» (le fameux B.1.1.7, cf. newsletter n°33) qui va peut-être modifier la donne.
- Au total, on peut considérer qu’une infection par le SARS-CoV-2 provoque une protection significative contre la réinfection d’au moins six mois.
[Merci au Dr Axel Ellrodt]
Schéma : incidence cumulée de PCR positives dans la cohorte de soignants séronégatifs (trait pointillé) et séropositifs (trait plein).
Un quatrième vaccin montre le bout de son nez !
Après les deux vaccins à ARN (Moderna® et Pfizer®) et un vaccin à adénovirus (Astra- Zeneca®) (cf. newsletters n°32, n°33 et n°34), voici un quatrième (Johnson & Johnson®) dont on vient de publier les résultats de la phase 1-2 dans le New England Journal of Medicine (NEJM, 13 janvier 2021).
Il s’agit d’un vaccin vectorisé par un adénovirus comportant le gène codant pour la protéine S (Spike) du SARS-CoV-2. Les patients (N=805) vaccinés (deux concentrations [5.1010 et 1011 particules virales/mL] avec un schéma comportant une ou deux injections) étaient comparés à un placebo.
Résultats :
- Les effets secondaires étaient ceux attendus et classés comme mineurs (asthénie, myalgie, céphalée, fièvre, douleur au site d’injection).
- Les anticorps neutralisants étaient détectés chez plus de 90% des patients 29 jours après la première injection.
- À J57, 100% des patients vaccinés avaient ces anticorps neutralisants, c'est-à-dire efficaces contre le SARS-CoV-2.
- Les taux étaient comparables à ceux des sérums de patients convalescents de la Covid-19.
- Ces résultats n’étaient pas influencés par l’âge ou la concentration d’adénovirus injectée.
- Une immunité cellulaire robuste (lymphocytes T CD4+ et CD8+) était détectée dès le 14e jour après l’injection de la première dose.
C’est encourageant, on est prêt pour faire la phase 3 (efficacité et sécurité à grande échelle).
Mais qui va accepter le placebo maintenant que plusieurs vaccins sont disponibles ? Il y a comme un problème…
Immunité cellulaire chez les séronégatifs : rassurant !
L’immunité acquise après infection par le SARS-CoV-2 possède deux bras, l’immunité humorale (anticorps) et l’immunité cellulaire (mémoire de l’infection contenue dans les lymphocytes). Il est beaucoup plus facile de tester l’immunité humorale en mesurant le taux d’anticorps. L’immunité cellulaire relève d’examens plus spécialisés et plus onéreux.
Des chercheurs ont voulu savoir si, après une infection par le SARS-CoV-2, des patients séronégatifs (sans anticorps) pouvaient conserver une immunité cellulaire (Emerging Infectious Diseases, 10 janvier 2021).
Les auteurs ont isolé 78 sérums de patients convalescents de la Covid-19. Parmi eux il y avait 13 (17%) patients séronégatifs. Les auteurs ont trouvé que 78% de ces patients séronégatifs avaient une immunité cellulaire détectable (médiée par les lymphocytes T). Ce pourcentage était comparable aux patients séropositifs.
Ceci est tout de même rassurant !
TRAITEMENT
Sérothérapie : quel est le rôle de la concentration des anticorps ?
La sérothérapie consiste à injecter aux patients sévères atteints de la Covid-19 du sérum de patients guéris ou convalescents contenant des anticorps anti-SARS-CoV-2. Les études cliniques donnent des résultats plutôt décevants (cf. newsletter n°30).
Un élément d’explication résiderait dans l’hétérogénéité de la concentration des anticorps dans ces sérums. C’est l’idée qu’ont exploité les auteurs d’un travail rétrospectif, visant à évaluer l’efficacité de cette technique en fonction de la concentration des anticorps dans les plasmas utilisés (NEJM, 13 janvier 2021).
- Ils ont divisé les concentrations des sérums en trois catégories : «haute concentration», «moyenne concentration» et «faible concentration».
- Les 3.082 patients analysés étaient stratifiés ainsi :
- patients avec ventilation mécanique (N=1.068),
- patients hospitalisés sans ventilation mécanique (N=2.014).
- Concernant la cohorte entière (N=3.082), il y avait une baisse significative de la mortalité en comparant les traitements «haute concentration» vs. «basse concentration» (29,6% vs. 22,3%).
- Une baisse significative de la mortalité a été aussi constatée parmi les patients sans ventilation mécanique (14,2% vs. 22,2% ; RR=0,66 ; IC95%[0,48-0,91]).
- Cette baisse était plus prononcée si le traitement était administré précocement (inférieur à 3 jours après l’hospitalisation).
- Concernant les patients sous ventilation mécanique, il n’y avait pas de baisse de mortalité significative (43,7% vs. 41,6%).
- Ces résultats ont été consolidés par divers modèles d’ajustement et des analyses de sensibilité.
Bof, bof… Étude rétrospective, à faible niveau de preuve. Beaucoup d’analyses en sous-groupes pour mettre en évidence un effet qui, s’il existe, ne ressemble pas du tout à un traitement miracle. On en restera aux études randomisées qui ne montrent pas d’effets nets sur la mortalité.
Vous êtes médecin ?
Pour recevoir une sélection de nos articles ou les commenter, il vous suffit de vous inscrire.