Covid-19 : la newsletter du Pr Adnet (N°32 - 15 décembre)
Vaccins : résultats de la phase 3 du fameux vaccin Pfizer-BioTech® et résultats intermédiaires pour le vaccin d‘Astra-Zeneca. L’orage cytokinique remis en question. Un essai thérapeutique - peu convaincant - associant un anti-inflammatoire au remdesivir. Pour finir, des nouvelles des patients Covid-19 sortis de l’hôpital... et ré-hospitalisés.
Frédéric Adnet est professeur agrégé de Médecine d'Urgence et chef des Urgences de l’Hôpital Avicenne et du SAMU 93. À la fois chercheur et médecin, il fait régulièrement le point sur la Covid-19. Après 46 numéros d'une FAQ quotidienne, il publie désormais une newsletter hebdomadaire. Nous la reproduisons ici avec son aimable autorisation.
Sa FAQ a connu un succès phénoménal. À l'origine destinée aux professionnels de son service, elle est maintenant traduite en plusieurs langues. Dans son interview, le Frédéric Adnet revient sur ce succès et explique son attachement à l'Evidence-based medicine.
Frédéric Adnet est également l'auteur de l'ouvrage Les Fantassins de la République - Urgence COVID, un printemps en enfer, paru en octobre 2020.
INDEX et liste des FAQ / Newsletters
NEWSLETTER N°32 (15 décembre 2020)
VACCINS
Vaccin Pfizer-BioTech® : on en sait un peu plus !
Le vaccin de Pfizer-BioTech®, vaccin à ARN messager, sera l’un des deux vaccins à ARN bientôt disponible codant la protéine S (sous-unité S1) du SARS-CoV-2. Cet ARN encapsulé dans des vésicules lipidiques va pénétrer dans le cytoplasme des cellules pour être traduit en protéine S1. Le largage de cette protéine provoque la réponse immunitaire.
Les résultats intermédiaires de phase trois ont été communiqués il y a peu de temps pour ce vaccin avec une efficacité annoncée de plus de 95% et peu d’effets secondaires (cf. newsletter n°27). Le dossier technique fourni à la Food and Drug Administration pour une homologation en procédure d’urgence (EUA 27034) et une publication accélérée dans le NEJM ont été diffusés en un temps record (Pfizer-BioTech Covid-19 Vaccine FDA Briefing Document, 10 décembre 2020 et NEJM, 10 décembre 2020). Ces documents donnent les résultats complets de la phase trois.
En bref :
- 37.706 patients ont été inclus dans un essai contre placebo (Nplacebo=18.846).
- La vaccination était administrée en deux doses séparées de 21 jours.
- Le suivi des patients atteignait une médiane de deux mois après la première injection.
- Il y eut, à partir de huit jours après la deuxième dose, huit cas de Covid-19 dans le groupe vacciné et 162 cas dans le groupe placebo (efficacité 162/170=95%,IC95%[90%-98%]).
- L’efficacité était supérieure à 93% pour les groupes à risque comprenant les patients âgés (N=15.921 ; 42%), le sexe masculin (N=19.075 ; 49%), l’origine ethnique (afro-américains ; N=3.492, 9%). Elle était supérieure à 91% pour les patients avec comorbidité (obésité ; N=13.218 ; 35%).
- L’efficacité était plus faible (82%) après l’injection unique de la première dose.
- Les principaux effets indésirables analysés sur une partie des patients qui devaient déclarer tout événement dans les huit jours après l’injection (N=8.183) étaient pour la tranche 16-55 ans : la douleur au site d’injection (83%), la fièvre (16%), une fatigue (59%), des frissons (35%), des myalgies (37%) et des céphalées (52%). L’intensité de ces signes était faible ou modérée.
- Il n’y avait pas de différence entre les deux groupes pour des effets secondaires menaçant le pronostic vital (21 (0,1%) vs. 24 (0,1%)) et le nombre de morts n’était pas statistiquement différent dans les deux groupes (2 (0%) vs. 4 (0%)).
- Les effets indésirables étaient moins fréquents chez les patients âgés (≥ 56 ans) par rapport au groupe des patients plus jeunes (16-55 ans).
On tient le bon bout ? Le problème de la durée de l’immunité n’est pas résolu même si on est à environ quatre mois après la première injection…
Vaccin AstraZeneca® : lui aussi bon pour le service !
Le vaccin AstraZeneca® (ChAdOx1) répond à un autre mécanisme que le mRNA. C’est un gène du SARS-CoV-2 codant pour la protéine S, qui a été incorporé dans un adénovirus inoffensif chez l’humain. Ce virus, en infectant les cellules, va pouvoir exprimer ce gène et produire cette protéine «étrangère» pour déclencher la réponse immunitaire. Son efficacité et sa tolérance ont été analysées après un essai clinique, randomisé, en aveugle contre un groupe contrôle (Lancet, 8 décembre 2020).
- Cet essai regroupait trois pays (Angleterre, Brésil, Afrique du sud), avec 23.848 patients inclus.
- L’analyse intermédiaire présentée ici concernait 11.636 patients.
- Le critère d’évaluation était la survenue de Covid-19 symptomatique après 14 jours de la deuxième injection (période d’exclusion).
- Le nombre de cas était de 30/5.807 (2,2%) dans le groupe vaccin et de 101/5.829 (1,7%) dans le groupe contrôle, conduisant à une efficacité globale ajustée pour l’âge de 70,4% (IC95;8%[54,8-80,6]).
- Il y eut deux cas de Covid sévères dont un décès dans le groupe contrôle.
- Curieusement, les patients inclus en Angleterre ont bénéficié d’une demi-dose du vaccin lors de la première injection (erreur de dosage) et conduisait à une efficacité de… 90% !
- Il y a eu le même taux d’évènements indésirables sérieux dans les deux groupes (79 vs. 89 dans le groupe contrôle).
- Trois cas de myélite transverse ont été signalés mais un comité indépendant de neurologues n’a pas considéré comme probable l’imputabilité au vaccin.
- Il y a eu quatre décès non liés au Covid-19 ; trois dans le groupe contrôle et un dans le groupe vaccin.
Nous avons donc deux vaccins avec des résultats plutôt rassurants quant à l’efficacité et la sécurité immédiate. Toujours la même inconnue concernant la durée de l’immunité efficace…
CLINIQUE
L’orage cytokinique : ça fait pschitt ?
La conception actuelle du Covid-19 grave résulte d’une évolution en deux temps, une première phase «virale» qui consiste en une migration du virus des voies aériennes supérieures vers les poumons, puis se met en place au 7e-11e jour une phase «inflammatoire» appelée orage cytokinique» qui consiste en un emballement de la réponse inflammatoire, responsable de la gravité de la maladie dans sa forme sévère.
Cependant, un certain nombre de chercheurs remettent actuellement en cause cet «orage cytokinique» en comparant la réponse inflammatoire d’autres maladies dont la composante «cytokinique» est bien caractérisée (cf. newsletter n°9).
Dans une mise au point récente (The Lancet Respiratory Medicine, 16 octobre 2020) , des auteurs font le bilan de la littérature à ce sujet. Ils ont fait la synthèse de 25 études de patients Covid-19 graves (N=1.245) et les ont comparées à quatre essais sur les SDRA non-Covid (N=2.767), sepsis (N=5.320), syndrome de relargage des cytokines (SRC) (N=72) où il existe un authentique orage cytokinique.
- Les auteurs ont trouvé que la concentration des marqueurs de l’emballement inflammatoire comme les cytokines (IL-6, IL-8, IL-10, TNFa, IFNg, sIL-2R) était beaucoup faible par rapport à ces trois pathologies.
- Par exemple, pour l’IL-6, le taux (36,7 pg/mL) était entre 12 et 100 fois inférieur dans la Covid-19 grave comparé au SDRA non-Covid (460 pg/mL), sepsis (983,6 pg/mL) et SRC (3110,5 pg/mL).
- Par contre, les autres marqueurs de l’inflammation comme la CRP, les D-dimères, la PCT ou la ferritine avaient des taux comparables avec le SDRA non-Covid ou le sepsis.
Ces auteurs remettent donc en question l’existence de cet «orage cytokinique» et proposent d’explorer d’autres voies comme une endothélite (inflammation des vaisseaux), des phénomènes pro thrombogènes, une destruction tissulaire liée à l’action directe du virus ou une immunodépression induite par le virus.
Un début d’explication sur l’échec des traitements ciblant cet orage comme le tocilizumab ?
[Merci au Dr Axel Ellrodt]
Morbidité après Covid : significatif !
Un travail s’est attaché à quantifier la morbi-mortalité survenant après une hospitalisation de patients Covid-19. Les auteurs l’ont comparée à deux autres pathologies connues pour être associées à une morbidité post-hospitalisation importante : l’insuffisance cardiaque et les pneumopathies (non-Covid) (JAMA, 14 décembre 2020).
- Les auteurs ont suivi pendant 60 jours 2.179 patients hospitalisés pour Covid-19 (dont 678 en réanimation).
- Il y eut 354 (20% des survivants) patients réhospitalisés et 162 (9%) décès.
- Les motifs de réhospitalisations étaient la Covid-19 (30%), le sepsis (8%), les pneumopathies (3%) et les défaillances cardiaques (3%).
- En comparant avec les ré-hospitalisations des patients insuffisants cardiaques ou victimes de pneumopathies, le pourcentage de décès ou de ré-hospitalisation était légèrement plus faible après un Covid-19 avec cependant un sur-risque dans les 10 premiers jours après la première hospitalisation.
Ce post-Covid risque ainsi d’avoir un impact significatif sur nos structures hospitalières.
TRAITEMENT
Anti-inflammatoire et remdesivir : bof !
On a vu que le remdesivir (molécule antivirale conçue contre le virus Ebola) était un médicament qui n’était pas efficace sur la mortalité dans la Covid-19 (cf. newsletter n°24). Des auteurs ont essayé l’association d’un anti-inflammatoire de type anti-JAK 1 et 2, le baricitinib, avec le remdesivir (NEJM, 11 décembre 2020).
- Dans un essai randomisé, contre placebo, les auteurs ont comparé l’association remdesivir et baricitinib (N=515) au traitement par remdesivir seul (N=518).
- Le critère de jugement était le délai de «guérison» défini par un score clinique en huit points (guérison était un score = 1 ou 2 ou 3).
- Ce délai était retrouvé significativement plus faible dans le groupe traité (7 jours ; IC95%[6-8]) comparé au groupe remdesivir (8 jours ; IC95%[7-9]).
- Ce bénéfice était plus marqué chez les patients sous oxygène à haut débit ou VNI (10 jours vs. 18 jours).
- La mortalité dans les deux groupes n’était pas significativement différente (5,1% vs. 7,8% dans le groupe placebo).
- Il y avait moins d’effets secondaires dans le groupe traité.
Bon, il manque un troisième groupe : le groupe placebo-placebo puisque le remdesivir n’a pas montré d’efficacité convaincante (mais les auteurs ne pouvaient pas le savoir lors de la conception de l’étude)…
Ici aussi on regrette que le bénéfice (modeste) ait été démontré sur un critère mineur et que cette étude ne montre rien sur les critères forts comme la mortalité. Bof !
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