Covid-19 : la newsletter du Pr Adnet (N°29 - 24 novembre)
Bonne nouvelle : l'immunité durerait plus de huit mois ! Les masques hors domicile, efficaces oui ou non ? Fermeture des écoles : années d'espérance de vie perdues en raison de la baisse du niveau scolaire versus celles perdues pour cause de Covid. Tests PCR : dépister plus souvent, même si le résultat est moins fiable. Diaphragme, ce muscle aussi est atteint. Enfin, le scandale naissant autour du remdesivir et l'homologation du traitement administré à D.Trump.
Frédéric Adnet est professeur agrégé de Médecine d'Urgence et chef des Urgences de l’Hôpital Avicenne et du SAMU 93. À la fois chercheur et médecin, il fait régulièrement le point sur la Covid-19. Après 46 numéros d'une Foire Aux Questions (FAQ) quotidienne, il publie désormais une newsletter hebdomadaire. Nous la reproduisons ici avec son aimable autorisation.
Sa FAQ a connu un succès phénoménal. À l'origine destinée aux professionnels de son service, elle est maintenant traduite en plusieurs langues. Dans son interview, Frédéric Adnet revient sur ce succès et explique son attachement à l'Evidence-based medicine.
Frédéric Adnet est également l'auteur de l'ouvrage Les Fantassins de la République - Urgence COVID, un printemps en enfer, paru en octobre 2020.
INDEX et liste des FAQ / Newsletters
NEWSLETTER N°29 (24 novembre 2020)
ÉPIDÉMIOLOGIE
Enfin une bonne nouvelle : l'immunité durerait plus de huit mois
La réponse immunitaire au SARS-CoV-2 pourrait durer plus de temps que généralement admis. Plusieurs travaux estimaient l’immunité efficace suite à une infection au SARS-CoV-2 à environ quatre mois (newsletter n°26). Elle pourrait durer plus d’un an !
Un travail s’est attaché à suivre 185 adultes guéris de la Covid-19. Les chercheurs ont observé l’immunité cellulaire médiée par les lymphocytes B qui conservent la «mémoire» du SARS- CoV-2 et qui sont responsables de la production d’anticorps spécifiques dirigés contre la protéine S du virus. Ceux-ci étaient toujours actifs et leurs concentrations étaient plus importantes à six mois de l’infection comparé à un mois (bioRxiv, non encore reviewé ; 16 novembre 2020).
- Les lymphocytes T de type CD4+ et CD8+, responsables de la réponse immunitaire cellulaire déclinaient lentement avec une demi-vie calculée de 3-5 mois.
- Les IgG (immunité humorale) restaient à des niveaux très élevés jusqu'à huit mois.
- Les deux types d’immunité (cellulaire et humorale) semblent donc à la fois stables et efficaces.
On attend le vaccin !
[Merci au Dr Xavier Fryde]
Les masques hors domicile, ça ne sert à rien ?
Un article à contre-courant vient d’être publié dans Annals of Internal Medicine (un journal très sérieux classé dans le top10 des meilleurs journaux scientifiques en médecine). Des auteurs danois ont voulu vérifier si le conseil de porter un masque chirurgical hors de chez soi pouvait réduire la transmission du virus (Ann Intern Med ; 18 novembre 2020). Pour ceci, ils ont utilisé une méthodologie que l’on emploie plutôt pour des essais cliniques médicamenteux en constituant deux groupes randomisés :
- un groupe où il était recommandé de porter un masque (avec des conseils de bonnes pratiques) hors du domicile avec la fourniture de 50 masques par personne (N=2.392),
- un groupe contrôle sans ces recommandations (N=2.470).
- Pendant la période de suivi d’un mois, il y eut 42 (1,8%) patients nouvellement infectés par le SARS-CoV-2 dans le groupe masque et 53 (2,1%) dans le groupe contrôle, ce qui n’était pas significativement différent.
- Ce résultat surprenant peut s’expliquer par la méthodologie employée par les auteurs. Ils ont construit leur essai pour obtenir une réduction de 50% des infections dans le groupe «avec masque», pour espérer passer d’une incidence de 2% d’infections à 1%.
- Pour démontrer une baisse de plus faible amplitude (ici ils constatent -0,3%), il aurait fallu inclure beaucoup plus de patients.
- Ce qui est étudié et démontré dans ce travail c'est que conseiller de porter le masque, avec la façon dont les gens le portent, et alors que les autres ne le portent pas, ne permet pas de diminuer de 50% ou plus la contamination des porteurs de masque dans une ambiance de faible incidence (2% de personnes infectées) et avec des mesures de distanciation.
- On remarque dans ce travail que 46% seulement des porteurs de masques ont indiqué avoir bien appliqué les conseils.
- De plus, les autres mesures barrières ont été modifiées pendant la période d’observation, ce qui rend difficile l’interprétation de l’influence du masque seul.
Cette étude ne permet pas d’affirmer (± comme certains le font) que le port généralisé du masque et notamment à l’intérieur, est inutile.
Les masques hors domicile, c'est efficace ?
Une vaste enquête américaine montre l’efficacité du port du masque à l’extérieur. Le 2 juillet 2020, le gouverneur du Kansas a promulgué une loi obligeant de porter le masque dans tous les lieux publics. Une enquête épidémiologique sur la diffusion de l’épidémie a comparé la période 1er juin - 2 juillet 2020 et la période 3 juillet-23 août 2020 (Mortality and Morbidity Weekly Report ; 20 novembre 2020).
- Ils ont comparé les régions qui n’avaient pas promulgué cette loi avec les régions qui l’avaient rendue obligatoire.
- Les régions avec le port du masque obligatoire ont vu le nombre de nouveaux cas baisser de 6% (diminution moyenne de 0,08 cas pour 100.000 habitants) alors que les régions qui n’avaient pas rendu cette mesure obligatoire voyaient une augmentation des cas de Covid-19 de 100% (moyenne de 0,11 cas pour 100.000 habitants).
Deux enseignements :
- Il faut donc porter les masques (le doute doit favoriser la protection des personnes).
- Les études en santé ne sont jamais univoques ou simples à interpréter !
[Merci au Dr Axel Ellrodt]
Les écoles : faut-il les fermer ou les laisser ouvertes ?
Un travail de simulation intéressant a été publié par des chercheurs américains. Devant le constat que la fermeture d’écoles primaires allait abaisser le niveau scolaire, et que la baisse du niveau scolaire est corrélée à une diminution de l’espérance de vie, les auteurs ont estimé les années d’espérance de vie perdues par cette fermeture (JAMA network ; 12 novembre 2020).
- Les auteurs ont constaté que 24,2 millions d’enfants âgés de 5 à 11 ans ont été impactés par la fermeture des écoles durant l’année 2020 aux États-Unis.
- Ces fermetures ont généré une médiane de 54 jours d’école perdus, ce qui correspondait à une perte de 0,31 (IC95%[0,10-0,65]) d’années scolaires sacrifiées sur l’ensemble de la scolarité pour les garçons et de 0,21 (IC95%[0,06-0,46]) pour les filles.
- Cette perte conduit à une estimation de 5,53 millions [IC95%[1,88-10,80]) d’années d’espérance de vie perdues pour l’ensemble de la population américaine. Si les écoles étaient restées ouvertes, l’augmentation de l’épidémie aurait couté 1,47 millions (IC95%[0,45-2,59]) d’années d’espérance de vie perdues à cause de la mortalité associée à la Covid-19.
Le résultat de cette balance un peu morbide penche pour l’ouverture des écoles avec une probabilité de 98,1% que cette mesure diminuerait le nombre d’années d’espérance de vie perdues.
Retournons à l’école !
PCR : faire plus ou faire mieux ?
L’arrivée de RT-PCR rapides (technologie RT-LAMP) ou des tests antigéniques permet une réponse rapide au prix d’une baisse de la performance (de la sensibilité). D’où deux techniques sur le marché : la technique de référence (RT-PCR) et les techniques rapides.
- Faire un dépistage avec des PCR «haute performance» impose un délai important de résultats qui contraint de le pratiquer que de manière ponctuelle.
- Les tests rapides permettent un dépistage massif et répété mais avec des tests moins performants.
Quelle est la meilleure stratégie ? Une étude répond à cette question : il faut faire des tests massifs et répétés moins performants (SciencesAdvances ; 20 novembre 2020) !
En se basant sur la cinétique d’évolution de la charge virale dans une population simulée de 10.000 patients infectés, les auteurs ont pu mettre en évidence les effets de ces deux politiques de testing : un test avec une «haute sensibilité» (seuil de détection à 103 copies/mL) et un test plus fréquent à «basse sensibilité» (seuil de détection à 105 copies/mL).
- Les auteurs ont tenu compte d’une auto-isolation des patients due à la présence de symptômes et simulé des délais de réponses aux tests de 0, 1 et 2 jours.
- Les résultats de cette étude montrent clairement que la réduction de la transmission virale est très affectée par le délai de réponse aux tests.
- Il vaut donc mieux détecter la maladie avec un test moins sensible mais le faire plus souvent et surtout avec un délai de réponse réduit au maximum !
- Par exemple, un test rapide «basse sensibilité» réalisé tous les trois jours diminue l’infectiosité du SARS- CoV-2 de 80% tandis qu’un test «haute sensibilité» pratiqué toutes les semaines avec un délai de réponse de deux jours diminue cette infectiosité de seulement 25%.
Vive les tests rapides !
CLINIQUE
Le diaphragme, nouvelle victime du virus ?
Nous savons que le sevrage (c'est-à-dire le retrait de la ventilation mécanique) des patients ventilés mécaniquement est difficile et que la durée de la ventilation artificielle des patients Covid-19 est souvent longue, source d’une morbi-mortalité importante. Des médecins légistes se sont demandés si le diaphragme des patients Covid-19+ sévères pouvait participer à ce sevrage difficile, le diaphragme étant notre principal muscle respiratoire (JAMA Internal Medicine ; 16 novembre 2020).
- Ils ont étudié les autopsies de 26 patients décédés de la Covid-19 après ventilation invasive et les ont comparées à 8 patients contrôles décédés qui avaient subi une ventilation invasive pour une autre raison.
- Les durées de ventilation et les âges étaient comparables pour les deux groupes de patients.
- Surprise… Le diaphragme est riche en récepteurs ACE2 qui constituent la porte d’entrée du SARS-CoV-2.
- Les diaphragmes des patients Covid-19+ avaient des traces d’infection virale dues au SARS-CoV-2.
- Une myosite avec des plages de fibrose était détectée chez les patients Covid-19+.
Bref, le diaphragme des patients Covid-19 semble plus malade que le diaphragme des patients témoins. Même si cela ne semble pas un facteur déterminant, cette atteinte diaphragmatique pourrait jouer un rôle dans la difficulté du sevrage.
TRAITEMENT
Le traitement de Trump homologué
Le président Trump a bénéficié précocement d’une administration d’un cocktail d’anticorps monoclonaux qui vient de recevoir une autorisation de mise sur le marché en urgence (EUA) de la part des autorités américaines (Food and Drug Administration - Communiqué de presse ; 21 novembre 2020).
- Il s’agit de l’association du casirivimab et de l’imdevimab qui a montré une efficacité pour les formes mineures (ne requérant pas d’oxygène) de la Covid-19 en diminuant significativement les hospitalisations à J28 (9% vs. 3%) et la charge virale à J7.
- Ces molécules s’attaquent à la protéine S du virus nécessaire pour envahir l’organisme.
Ce n’est pas une révolution, mais bon, puisque ça a marché sur Trump, pas besoin d’essais cliniques !
Remdesivir, début d'un scandale ?
Le remdesivir, un médicament antiviral commercialisé par le laboratoire Gilead®, est l’objet d‘études contradictoires.
- SOLIDARITY (newsletter n°24) n’a montré aucune efficacité tandis qu’une étude publiée dans le NEJM a mis en évidence une diminution du temps de guérison (newsletter n°3).
- C’est sur ce dernier argument (faible) que la FDA a accordé une autorisation de mise sur le marché «conditionnelle».
- La commission européenne du médicament s’est empressée d’acheter 500.000 doses pour 1,2 milliards de dollars le 8 octobre 2020.
- Les résultats de SOLIDARITY n’ont été connus que le 9 octobre 2020. Pas de chance ! …
- Si ce n’est que Gilead® possédait le manuscrit de cette étude quelques semaines auparavant et que ce laboratoire s’est bien gardé de le communiquer.
Deux journaux de tout premier plan (Sciences ; 28 octobre 2020, BMJ ; 20 novembre 2020) ont dénoncé cette escroquerie. L’OMS vient de décréter officiellement que le remdesivir ne servait à rien !
Business as usual…
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