Covid-19 : la newsletter du Pr Adnet (N°24 - 20 octobre)
Résultats décevants des traitements expérimentaux de la COVID-19 d'après la grande étude SOLIDARITY. Autre mauvaise nouvelle, les réinfections semblent dues à des variants du virus. Un peu d'espoir par contre du côté de la cyclosporine A, et des données encourageantes sur la transmission materno-fœtale. A noter encore : les maladies psychiatriques sont des facteurs aggravants, et la mortalité en Europe est particulièrement sévère.
Depuis le 12 mars, le Pr Frédéric Adnet - professeur agrégé de Médecine d'Urgence, chef des Urgences de l’Hôpital Avicenne et du SAMU 93 - fait régulièrement le point sur le Covid-19.
Après 46 numéros d'une FAQ quotidienne, il propose désormais une newsletter hebdomadaire. Nous la reproduisons ici avec son aimable autorisation.
INDEX et liste des FAQ / Newsletters
NEWSLETTER N°24 (20 octobre)
ÉPIDÉMIOLOGIE
Réinfection : baisse de l’immunité ou mutation du virus ?
La réinfection par le SARS-CoV-2 est l’évènement qui nous hante tous à plusieurs titres. Elle peut signifier que l’immunité conférée par la primo-infection n'est pas efficace, ou alors que le virus change génétiquement et que les nouveaux variants deviennent insensibles à l’immunité induite par la première infection… En tous les cas, cela donne des sueurs froides pour la création d’un vaccin efficace. Il y a une vingtaine de cas signalés et quatre patients réellement décrits (Hong-Kong, Pays-Bas, Belgique, États-Unis) pour plus de 40 millions de personnes contaminées dans le monde, ce qui en fait un évènement excessivement rare.
Dans un article (Lancet Infectious Diseases, 12 octobre 2020) les auteurs décrivent un américain de 25 ans résidant dans le Nevada, infecté une première fois le 18 avril 2020 et qui se réinfecte (PCR positive) le 5 juin 2020. La primo-infection était pauci-symptomatique (syndrome grippal a minima), il fut considéré comme cliniquement guéri le 27 avril (PCR négative le 9 mai) puis a développé une deuxième infection le 28 mai avec une forme de la COVID-19 beaucoup plus sévère, comportant pneumopathie et oxygéno-dépendance.
L’évolution a été finalement favorable. L’analyse génétique des deux échantillons de virus a pu être faite et elle a montré que ces deux virus possédaient des caractéristiques génétiques différentes. Ce constat rejoint la description de la réinfection dans la newsletter numéro 17, où un patient de Hong-Kong avait été infecté successivement par deux variants du SARS- CoV-2.
On s’oriente donc vers des réinfections par des variants du SARS-CoV-2 plutôt qu’une baisse de l’immunité avec une réinfection par le même virus. Bref, ce n’est pas du tout rassurant !
Comparaison des mortalités dans le monde
Nous savons qu’il est difficile de parler de mortalité pour cette maladie à cause de la définition du dénominateur (nombre de malades diagnostiqués, incidence de la maladie, etc.). Si l’on considère cette épidémie comme diffuse et uniformément répartie, alors le nombre d’habitants par pays peut-être un bon moyen de comparer l’impact de cette pandémie en termes de mortalité.
C’est ce qu’a fait une équipe américaine en classant les pays développés de plus de 5 millions d’habitants par impact (< 5 morts /100.000 habitants, 5-25 morts et > 25 morts). De manière intéressante, on s’aperçoit que l’Europe (sauf l’Allemagne) fait partie des pays les plus impactés (JAMA, 12 octobre 2020). Lorsque l’on compare ces pays aux USA, on observe que seules l’Angleterre, la Belgique et l’Espagne sont pires que les États-Unis.
Schéma : mortalité de la COVID-19 ramenée aux nombre d’habitants entre différents pays développés et rapportée à la mortalité des États-Unis.
CLINIQUE
Patients psychiatriques et COVID-19 : mauvais pronostic !
Nous savons qu’il existe beaucoup de facteurs qui augmentent le risque de mortalité de la COVID-19. Citons l’âge, l’obésité, le diabète, les maladies cardiovasculaires. Qu’en est- il des maladies psychiatriques ?
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Une équipe de chercheurs s’est intéressée à cette problématique en comparant de manière rétrospective une cohorte de 473 patients COVID- 19+ ayant des antécédents psychiatriques avec 1.212 patients sans antécédents psychiatriques (JAMA Network Open, 30 septembre 2020).
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La mortalité à 4 semaines dans le groupe des patients psychiatriques était significativement plus élevée : 45% vs. 31%.
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Bien que les deux groupes n’étaient pas comparables en ce qui concerne les comorbidités, un calcul après ajustement montre que cette surmortalité reste significative dans le groupe de patients ayant des antécédents psychiatriques (HR=1,5 ; IC95%[1,1-1,9]).
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C’est donc un nouveau facteur de risques trop souvent négligé dans la littérature.
Transmission materno-fœtale : oui ou non ?
Nous savons que les femmes enceintes COVID-19+ symptomatiques sont un peu plus à risque de forme grave. Nous savons aussi que l’allaitement n’est pas contre-indiqué et ne constitue pas une voie de transmission majeure. Qu’en est-il de la transmission materno- fœtale ? Un dépistage systématique et répété du COVID-19 a été entrepris dans un suivi de cohorte de 101 bébés nés de 100 mères COVID-19+ (JAMA Pediatrics, 12 octobre 2020).
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82 nouveau-nés ont été admis en nurseries et 19 en unités de soins intensifs néonatales.
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Les mesures barrières étaient respectées et l’allaitement permis.
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Les mamans étaient classées en pauci-symptomatique ou sévérité moyenne (N=90), et formes graves (N=10).
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Il y eut 141 PCR réalisées chez les nouveau-nés. Aucune n’est revenue franchement positive (2 résultats faiblement positifs et un positif puis contrôlé négatif.
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Aucun bébé n’a présenté de signes compatibles avec une COVID-19.
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Les naissances de mamans COVID-19+ graves ou de sévérité moyenne étaient plus précoces (une semaine en moyenne).
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En conclusion, la transmission materno-fœtale ne semble pas une transmission majeure, ni la transmission par l’allaitement (ça on le savait déjà !).
TRAITEMENT
Encore du boulot...
Les premiers résultats de SOLIDARITY, essai international piloté par l’Organisation Mondiale de la Santé ont été rendus public (MedRxiv, pas encore reviewé, 15 octobre 2020). Cette étude a inclus 11.266 patients COVID-19+ hospitalisés dans 405 hôpitaux de trente pays (dont la France).
Bon, ben... rien ne marche !
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Les médicaments testés dans cette énorme essai clinique, randomisé en ouvert (pas de placebo) et international étaient le remdesivir (N=2.750), l’hydroxychloroquine (N=954), le lopinavir [médicament anti-HIV] (N=1.411), l’interferon-ß1a (N=1.412), la combinaison interféron-lopinavir (N=651) et un groupe contrôle avec un traitement standard sans ces médicaments (N=4.088).
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Le critère d’évaluation était la mortalité hospitalière. La survie à J28 était aussi analysée pour tous les groupes.
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La mortalité globale à J28 était de 12% (39% si le patient était sous ventilation mécanique).
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Aucun traitement n’a eu d’effet significatif sur la survie.
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De même le recours à la ventilation mécanique et la durée d’hospitalisation ne différaient pas par rapport au groupe contrôle pour toutes ces approches thérapeutiques.
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Cette étude est à haut niveau de preuve.
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Son résultat principal est de remettre en cause l’efficacité du remdesivir, déjà démontrée comme faible (pour les autres traitements, on avait plus que des doutes). La dexaméthasone semble donc de plus en plus isolée…
[Merci au Dr. Axel Ellrodt]
La cyclosporine A : un nouvel espoir ?
Une étude rétrospective observationnelle incluant 607 patients dans un Centre Hospitalier Universitaire de Madrid a permis d’associer divers facteurs à la mortalité hospitalière de patients hospitalisés COVID-19+ (EClinicalMedicine, 15 octobre 2020).
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Il y eut 141 patients décédés (23%).
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Cette étude retrouve, dans une analyse multivariée, les facteurs de risques indépendants déjà connus (âge, diabète, hypoxie, Ddimères élevés).
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Parmi les thérapeutiques, l’administration de tocilizumab (anticorps monoclonal anti-IL6) était associée à une surmortalité (OR=2,4 ; IC95%[1,13-5,11]) et l’emploi de la cyclosporine A à une réduction significative de cette mortalité (OR=0,24 ; IC95%[0,12- 0,46])(Schéma).
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La cyclosporine A possède in vitro une activité antivirale et anti-inflammatoire dirigée contre la production d’interleukine et de TNF-α. Elle lutte donc contre l’orage cytokinique.
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Étude à faible niveau de preuve mais qui pourrait susciter un essai thérapeutique prospectif randomisé…
[Merci au Dr. Axel Ellrodt]
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