La médecine des 4P... et plus

Décrypter le génome, prévenir les maladies, personnaliser les traitements, impliquer les patients... Les 4P de cette médecine émergente - prédictive, préventive, personnalisée et participative - n'auront de sens que si elle reste pertinente et parvient à s'intégrer dans un parcours de soin.


Joris Galland est spécialiste en médecine interne. Après avoir exercé à l'hôpital Lariboisière (AP-HP) il a rejoint le CH de Bourg-en-Bresse. Passionné de nouvelles technologies, il se propose dans notre blog «Connexion(s)» de nous en expliquer les enjeux.  


L’être humain est un rêveur. On a l’habitude d’entendre que son rêve le plus cher est de savoir voler. La technologie a pourtant déjà rendu possible cette prouesse grâce à l’aviation. Désormais, l’humanité a d’autres rêves, comme celui de ne pas tomber malade et, pour certains, de devenir immortel. Au fur et à mesure des avancées technologiques en Santé, les patients sont plus exigeants (à juste titre) et rejettent souvent le fait d’être malade. La crise sanitaire de la Covid-19 en est un exemple : pourquoi confiner tout un pays alors que l’Homme maîtrise l'infiniment petit ?

L’arrivée des IA, de la robotique, des big data a pour objectif de perfectionner la médecine dite «de réparation», celle que nous connaissons tous. Mais ces nouvelles technologies veulent aussi nous ouvrir les portes d’un monde nouveau, celui des «médecines d’augmentation». La médecine n’est plus seulement une lutte contre la maladie ; elle est aussi une recherche du bien-être.


La médecine des 4P

En 2013 apparaît le concept de «médecine des 4P», terme breveté par l’Institute for System Biology. La médecine est de plus en plus Prédictive, Préventive, Personnalisée et Participative1.


Une médecine prédictive

Il est aujourd’hui possible de séquencer le génome humain dans son entier en seulement quelques heures et pour quelques centaines d’euros. Cette démocratisation du séquençage du génome permet une analyse de millions de variants, liés à nos simples variations phénotypiques interindividuelles, mais également liés aux maladies.

Le diagnostic de nombreuses maladies s’en trouve amélioré, et ce des années avant l’apparition de celles-ci. Nous sommes aujourd’hui en mesure de prédire si un individu sera plus susceptible de développer une maladie de Parkinson ou un cancer. Il y a une dizaine d'années, une grande étude génomique incluant près de 10.000 femmes atteintes d’un cancer de l’ovaire et 13.000 témoins a permis d’identifier un variant génétique fréquent, qui augmente la susceptibilité de survenue de la tumeur de 20 à 40%. Avec le séquençage de gène à haut débit, il serait possible de dépister ce variant chez toutes les femmes et de leur proposer un suivi rapproché2.

Le labo 23andme™de Google propose au grand public un séquençage d’une grande partie de notre génome. Mais que se passe-t-il quand un gène de prédisposition à une maladie ressort de cette analyse ? Ce service a été condamné en 2013 car il se contentait d’informer l’utilisateur de la présence d’un gène «de prédisposition» sans proposer de solution. En 2017, la FDA a autorisé la détection d’une dizaine de maladies (Parkinson, Alzheimer, maladie coeliaque, etc. ), sous certaines conditions : il s’agit de tests de dépistage - et non de tests diagnostiques -, les facteurs environnementaux ayant une action importante sur l’expression de notre génome. Les utilisateurs doivent être informés de cette subtilité et sont incités à consulter un médecin le cas échéant 3.

En France le plan génomique 2025 a prévu le déploiement d’un réseau de douze plateformes de séquençage de l’ADN à très haut débit. Ce séquençage de routine va révolutionner le parcours de soin des patients en permettant une prise en charge diagnostique et thérapeutique plus personnalisée. Elle concernera dans un premier temps les patients affectés par les maladies rares ou les cancers, puis à terme les patients atteints de maladies communes4.


Une médecine plus préventive

Les contrôles réguliers permis via les applications de santé ou les objets connectés permettent désormais aux médecins de suivre les patients longitudinalement et de détecter précocement les perturbations annonciatrices d’une maladie ou d’une rechute, bien avant que celle-ci ne se développe. La médecine actuelle se tourne vers le bien-être et la pleine santé. Les patients veulent intervenir en amont et agir sur les signes avant-coureurs avant que la maladie ne se manifeste. Il y a là un réel intérêt de santé publique et de réduction des coûts.


Une médecine personnalisée

La médecine reste trop souvent est une médecine de «moyenne» où les traitements proposés correspondent aux meilleurs traitements efficaces sur une moyenne de patients, sans tenir compte de la singularité et des variations interindividuelles. L’IA promet de bien meilleurs résultats. En permettant grâce à de puissants algorithmes d’analyser l’évolution de millions de cas cliniques réels, l’IA propose aujourd’hui aux patients des thérapeutiques ou interventions personnalisées.

Prenons pour exemple l’imagerie et la prédiction d’évolution des tumeurs cérébrales. Une équipe de chercheur menée par Nicolas Ayache a entrainé un programme d’IA à reconnaître les tumeurs cérébrales et à segmenter les différents composants de l’image de la tumeur : cœur nécrotique, œdème, etc. L’IA utilise ici les résultats de l’imagerie de quelques centaines de patients déjà étiquetés par des experts. En fonction de l’image de départ et de ses différents composants, il est possible de fournir une prédiction d’évolution de la tumeur… donc d’adapter la dosimétrie des rayons pour limiter les effets sur les neurones sains tout en maximisant l’effet au sein de la tumeur5.


Une médecine participative

Les patients se responsabilisent face à la maladie. Les objets connectés et applications ont un aspect ludique qui encourage leur participation. Surtout, les patient visualisent rapidement les résultats de leurs efforts (changements de comportements) ; ils sont d’autant plus motivés, ce qui permet également d’obtenir de nouvelles données pour affiner les algorithmes, les prédictions et les prises en charge personnalisées.


Cinquième et sixième P

Cette médecine des 4P possède des limites : qu’en est-il des maladies pour lesquelles aucun traitement n’existe ? Accepteriez-vous que l’on dépiste un gène de prédisposition au développement de la maladie d’Alzheimer sans que vous ne soyez en capacité de prévenir l’apparition de cette dernière ? Le professeur James Watson, co-découvreur de la molécule d’ADN en 1953, a accepté le séquençage de son génome à condition que le gène ApoE (responsable de la maladie d’Alzheimer) ne soit pas lu… Il avait trop peur de sombrer dans la dépression s’il se découvrait  un risque de démence. 


Médecine pertinente et parcours de soin

Le concept de médecine des 5P naît de ce constat : il est nécessaire que la médecine des 4P reste pertinente, fondée sur un service médical rendu. Si deux tiers des français se disent prêts à passer un test génétique pour identifier une prédisposition à une maladie - et à changer leur hygiène de vie le cas échéant -, un des freins principaux est l’angoisse liée à la découverte d’un risque personnel (44%).

Autre limite : si un citoyen se sait  «vierge» de toute prédisposition à une maladie chronique, ne risque-t-il pas de se désaffilier de la sécurité sociale, rompant ainsi  le principe de solidarité sur lequel repose notre système de santé ? Afin que cette médecine des 5P puisse améliorer les soins de santé, et réduire leur coût, il faut qu’elle soit pleinement intégrée dans le parcours de soin des patients. Nous pouvons donc parler de médecine des 6P.

Ces parcours de soins s’articuleront par pathologie, pour devenir des parcours de santé adaptés à chacun. Prenons le cas des programmes expérimentaux lancés depuis plusieurs  années pour le suivi de malades insuffisants rénaux chroniques. Ces patients se trouvent en situation d’insuffisance rénale, juste avant le stade de la dialyse. On sait qu’elle sera inévitable. Or la dialyse est une thérapeutique très invasive et coûteuse (quatre milliards d’euros par an, soit  80% des dépenses de soins liés à l’insuffisance rénale chronique).

Pour ces patients on connait l’efficacité de la mise à disposition d’une tablette sur laquelle ils enregistrent une fois par semaine des données physiologiques simples (poids, régime alimentaire, apparition d’œdème, etc.). Ces renseignements sont envoyés à un centre expert de suivi et analysés par un néphrologue ; l’adaptation du régime ou du traitement s’affine ainsi au fil du temps. Résultat : le passage en dialyse est retardé, parfois jusqu’à sept ans. Un gain précieux pour le patient et la collectivité. 

4P, 5P, 6P... L'objectif est donc d'améliorer les soins de santé et d'en réduire les coûts. Hood Leroy, le biologiste américain qui a énoncé le concept de médecine des 4P, en avait aussi perçu le corollaire : l’incroyable stimulation de l'innovation en santé et le foisonnement d'entreprises dédiées.


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Réferences :
1 - Systems Biology and P4 Medicine: Past, Present, and Future
2 - Song H, Ramus SJ, Tyrer J, et al. A genome-wide association study identifies a new ovarian cancer susceptibility locus on 9p22.2. Nat Genet. 2009 Sep;41(9):996-1000. doi: 10.1038/ng.424
3 - Goodin T. FDA allows marketing of first direct-to-consumer tests that provide genetic risk information for certain conditions
4 - Aviesan. France médecine génomique 2025 - Présentation du plan
5 - Colloque du Collège de France : Au chevet du patient numérique : images, apprentissage et intelligence